samedi 27 avril 2013

Un brouillon de Constitution en quête d’islamisation



Le projet de Constitution, rendu public dernièrement, a suscité des réactions dans les cercles d’experts en droit constitutionnel, parmi les élus qui ont participé à son élaboration et, plus largement, au sein de la société tunisienne. On reproche à ce projet plusieurs lacunes d’ordre technique ainsi que le fait d’être loin des objectifs de la révolution qui fût à l’origine de tout ce processus. 

Un concert de critiques s’est déclenché, suite à la publication du projet de Constitution. Plusieurs experts et personnalités politiques ont « descendu » en flammes le texte. On citera, entre autres, Raja Ben Slama, Jaouhar Ben Mbarek, Saïd Aidi, Sadok Belaïd, Iyadh Ben Achour, Kais Saeid…. L’absence de référence aux accords internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les menaces pesant sur le caractère civil de l’Etat ainsi que la proéminence d’un système parlementaire déséquilibré et l’intérêt exagéré porté à l’aspect religieux sont les principaux axes de critique de ce projet. 
Dans une tribune publiée sur son blog, le constitutionnaliste Iyadh Ben Achour détaille les lacunes du projet de Constitution. Il commence par mettre en lumière les menaces qui pèsent, dans ce projet, sur le caractère civil de l’Etat. Iyadh Ben Achour s’interroge sur l’opportunité de copier, tel quel, l’article premier de la Constitution de 1959 alors que la Tunisie est en perpétuel changement, en rappelant que les slogans scandés pendant la révolution avaient une portée politique et sociale, loin des préoccupations religieuses et identitaires.
L’expert s’interroge, également, sur le sens de l’article 136 du projet de Constitution. Cet article stipule qu’aucune modification de la Constitution ne peut altérer l’Islam (étant la religion de l’Etat) ni le caractère civil de celui-ci. Ben Achour relève la contradiction entre l’article premier qui consacre l’Islam comme religion de la société et l’article 136 qui proclame l’Islam comme religion d’Etat. Il pointe une autre contradiction au sein même de l’article qui, d’un côté, érige l’Islam en religion d’Etat et, d’un autre, réaffirme le caractère civil de l’Etat.
Il semble clair, selon l’analyse de Iyadh Ben Achour, que la notion de religion d’Etat introduite dans l’article 136 du projet est une voie pernicieuse par laquelle la Chariâa pourrait refaire irruption dans la Constitution. Son analyse démontre que la notion de religion d’Etat est un concept flexible et flou qui permet une interprétation fondamentaliste et rigoriste du texte, donnant ainsi naissance à des compréhensions théocratiques et totalitaires en complète rupture avec la démocratie et le caractère civil de l’Etat.
Ce type de lecture pourrait même servir de prétexte pour reculer sur des acquis antérieurs comme le Code du statut personnel. Iyadh Ben Achour ne manque pas de noter que cette volonté d’islamisation a déjà été démontrée par la tentative de créer une Haute Instance islamique censée contrôler « l’islamité » des lois de la République.
Iyadh Ben Achour poursuit son analyse en pointant, cette fois-ci, des libertés manquantes dans le projet de Constitution qui sont la liberté de pensée et la liberté de conscience. En soulignant l’importance de ces deux libertés dans tout système démocratique, Ben Achour indique que leur omission est cohérente avec le refus de spécifier l’universalité des droits de l’Homme dans la Constitution et de faire allusion à la déclaration mondiale des droits de l’Homme qui fait état des libertés de pensée et de conscience. Ceci est un recul par rapport à la Constitution de 1959, selon Ben Achour qui clôt son analyse en affirmant que le parti Ennahdha n’a cédé que sur la forme concernant l’introduction de la Chariâa dans la Constitution.
Par ailleurs, il déclare que le projet de Constitution ne correspond pas au message de la révolution, puisqu’il prépare le terrain à l’instauration d’une dictature théocratique et qu’il sera au service d’un Etat religieux, non civil.
Kaïs Saied relativise la fonction de la Constitution en relevant que l’état des libertés aujourd’hui en Tunisie, techniquement sans constitution, est de loin meilleur que ce qu’il était sous la Constitution de 1959. Kaïs Saied a, également, exprimé ses craintes de voir la Constitution devenir un des instruments du pouvoir pour imposer une dictature comme ce fut le cas en Tunisie ou actuellement en Egypte.
C’est pour cela qu’il a insisté sur la fonction première de la Constitution qui est de refléter fidèlement la volonté du peuple. C’est dans ce contexte qu’il a déploré le fait que l’Assemblée nationale constituante ait tourné le dos aux aspirations du peuple, exprimées durant la révolution, pour s’occuper de problématiques qui n’ont jamais été exprimées par les Tunisiens car déjà réglées. L’expert en droit constitutionnel critique la classe politique tunisienne et particulièrement les élus de l’ANC car, selon lui, ils ont été incapables de comprendre le message de la population tunisienne en continuant à centraliser la décision politique, approfondissant ainsi la rupture entre les Tunisiens et leurs gouvernants.

D’autre part, Kaïs Saied estime que le projet de Constitution a été façonné sur mesures pour le pouvoir en place, en évoquant les choix concernant la nature du régime politique. Par ailleurs, Saied est revenu sur la répartition des pouvoirs préconisée par le projet de Constitution, en affirmant que si ces mesures étaient adoptées, on risquerait de faire face à des problèmes de cohabitation graves entre le président de la République et le chef du gouvernement à l’approche d’échéances électorales. Il a également critiqué la répartition des prérogatives entre le président de la République et le chef du gouvernement en affirmant que la politique extérieure du pays ne peut être dissociée de la politique générale de l’Etat.

En résumé, ce projet de Constitution souffre de plusieurs lacunes, au moins sur le plan technique, car il ne représente pas un progrès substantiel par rapport à la Constitution de 1959, c’est même un recul selon certains experts. Il est clair que les 549 jours de travail des élus de l’Assemblée n’auront pas suffi pour produire une Constitution susceptible de créer un consensus entre les Tunisiens. Espérons que les différentes lacunes, relevées ici, seront corrigées lors des réunions des plénières. Encore faut-il que les élus admettent que la « meilleure constitution du monde » doive être révisée … 



Lire : Abdelwahab Meddeb : Une constitution inacceptable



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