dimanche 25 août 2013

Ettakatol est "grand" et Ahmed Mestiri est son prophète

QUAND LES JEUNES FONT LA REVOLUTION ...
ET QUAND LES VIEUX SOIGNENT LEUR EGO !

Hisham Ben Khamsa









Hisham Ben Khamsa
Directeur de Festival de Films, Media activiste
Vingt mois après des élections qui devaient nous donner une constitution en un an, le gouvernement de la troïka n'en finit pas de s'accrocher à sa légitimité des urnes malgré un bilan désastreux. Rien qu'en 2013, cette même troïka nous a donné, entre autres, deux assassinats politiques, un lynchage publique, des soldats qui, quand ils ne sautent pas sur des mines, sont égorgés par des terroristes dans des embuscades, un Dinar qui a atteint des abysses historiques, des déclassements en série de nos notes souveraines par les agences de notation internationales et même un cinéaste et un cameraman jetés en prison. Le premier pour avoir lancé un œuf sur le ministre de la Culture en guise de protestation et le second pour avoir filmé cet acte dangereusement et hautement subversif.
Cette même troïka refuse de reconnaitre son échec et n'esquisse même pas un semblant de mea culpa. Sa seule réponse aux différentes crises qui font trembler cycliquement le pays est "on reprend les mêmes et on recommence", quitte à déguiser cela par des formules qui ne trompent plus personne.
Depuis quelques jours et après une très, très longue période de quasi-silence et un suivisme exemplaire, voici qu'Ettakatol essaye de se démarquer de la troïka. Il recycle son concept de Gouvernement d'Union Nationale en changeant de terminologie. Pas de gouvernement de compétences comme le veut l'opposition unifiée mais un gouvernement non politique avec, à sa tête, une personnalité nationale.
Bourguiba, dénominateur commun de la troïka
Mais avant d'aller voir qui pourrait être cette personnalité nationale (selon Ettakatol), il serait intéressant de comprendre ce qui a créé cette coalition hétéroclite qu'était la troïka. Quel est l'élément fédérateur, le liant politique qui fait que trois partis aux idéologies si éloignées décident de se coaliser pour gouverner un pays, au-delà de leur soif avérée de pouvoir.
J'ai bien cherché dans toutes leurs déclarations et actes depuis leur accession aux commandes du pays et le seul plus petit commun dénominateur est ... Bourguiba ! Pour certains, c'est Bourguiba le projet et, pour d'autre, c'est Bourguiba la personne.
Prenons les trois courants séparément et vous constaterez les signes de ce que j'avance.
Pour Ennahdha, le rejet total de Bourguiba et de l'état moderne qu'il représente a été résumé dans une phrase qu'il aurait tenue. A la question "qu'est ce qui vous sépare des Islamistes?", l'ancien président aurait répondu, "quatorze siècles". Est-il nécessaire de pousser l'analyse plus loin?
Pour le CPR, ou ce qu'il en reste et ce qu'il en a échappé sous format Wafa, la seule pensée politique semble être "je suis furieux et j'exige qu'on me respecte et qu'on comprenne que j'ai de la valeur et tout ça est de la faute de Bourguiba et de ses cinquante ans de dictature". Tous ces hyper-énervés et autre agités du bocal ne se rendent même pas compte de leurs incohérences.
Voulez-vous un exemple? En voila cinq: Moncef Marzouki, Abderaouf Ayadi, Imed Daimi, Slim Ben Hamiden et l'inénarrable Samir Ben Amor.
Toujours pas convaincu et vous voulez des faits? Moncef Marzouki réhabilite à tours de bras tous ceux qui, de prêt ou de loin, ont eu affaire à Bourguiba. Pour certains, le geste est admirable et les droits retrouvés sont largement mérités, mais quel insulte que de les mettre dans la même catégorie qu'un Moncef Materi, putschiste et officier félon qui, en 1962, n'avait rien d'un héros de l'indépendance.
Peu importe qu'il soit le père de Sakhr Materi et l'un des hommes les plus corrompus de l'ère Ben Ali. Il a été contre Bourguiba, et c'est donc un type bien. Après la révolution, on invite sa fille et sa femme dans une cérémonie de commémoration et on leur remet une médaille qu'on lui aurait volontiers remise en mains propres s'il n'était pas en fuite à l'étranger et recherché par la justice.

On s'accroche d'une manière désespérée à l'héritage de Salah Ben Youssef et on s'affiche avec, à toutes les sauces, au point que la famille du défunt sorte un communiqué disant "Stop à la récupération abusive du nom de notre père", mais qui, en fait, sous-entend: "De grâce, arrêtez, ça devient embarrassant!".
Oui mais Ettakatol, direz-vous? Ce sont des centristes, modernistes, nationalistes et laïques. Comment peuvent-ils être contre le projet Bourguiba? Ils ne sont pas contre le projet mais certains de leurs dirigeants dans le premier cercle ressassent de vieux griefs contre la personne. Il suffit de regarder ce que, au cours de la dernière année, les pages proches du parti ont partagé - ou pas.
Quand Ennahdha et le CPR zappent clairement le 20 mars, fête de l'indépendance, Ettakatol salue exclusivement le grand militant Tahar Ben Ammar, premier ministre en 1956 et signataire des accords d'indépendance, rappelant qu'il a été mis en prison par Bourguiba mais omettant de dire que les dirigeants nationalistes de l'époque, et non uniquement Bourguiba, avaient considéré tous les premiers ministres de Lamine Bey comme collaborationnistes avec l'occupant, surtout ceux n'ayant pas soutenu Moncef Bey, le Prince patriote, lors de sa destitution.
A-t-on déjà oublié que, le 25 juillet dernier, Mustapha Ben Jaâfar a célébré la Fête de la République, du haut de son perchoir du Bardo, avec un superbe discours de douze minutes pendant lesquelles il n'a pas cité une seule fois Bourguiba?
Si l'on suit de prêt ce qui se partage chez les fans du Tak, on voit clairement une tendance se dessiner. Bien plus qu'une tendance, on voit l'ombre d'un personnage qui apparaît systématiquement. Un peu comme Ennahdha, avec son gourou.
Voila qu'un nom est mis en avant comme l'homme du consensus, la personnalité nationale et indépendante qui sauvera le pays. Le militant au parcours irréprochable. L'opposant à... Bourguiba. Vous l'avez deviné, il s'agit d'Ahmed Mestiri!
Mestiri, homme providentiel?
On glisse son nom par ci, par là. On partage sur Facebook son long résumé en mettant en avant son pedigree de Tunisois : "Fils de Taher Mestiri et Khadija Kassar, en 1956, épouse Souad Chenik (fille de M'hamed Chenik et Essia Chelbi)". Peut-on y lire une forme de revanche de cette même bourgeoisie propriétaire terrienne, tenante de l'administration beylicale et qui s'est fait évincée à l'indépendance par les "Sahéliens"?
Sur le même CV, peu importe si ses faits d'armes et ses "actes d'héroïsme" ont été fait par association et en usant excessivement de "name droping". Peu importe si l'on prend quelques libertés avec l'histoire.
Jugez par vous-même les faits suivants tels que je les ai copiés-collés:
"1942, Membre de la Cellule Destourienne de La Marsa en compagnie de Taieb Mehiri...
- collabore avec Bahi Ladgham et Hédi Nouira à l'hebdomadaire "Mission", organe en langue française du Néo-Destour (interdit en 1952)
- 01/1952 - 06/1955, Membre de la direction transitoire clandestine du Néo-Destour (Bureau Politique) chargée de la résistance avec Farhat Hached, Sadok Mokaddem, Mongi Slim, Hédi Nouira , Hédi Chaker, Jellouli Farés , Taieb Mehiri, Mohamed Senoussi, Abdallah Farhat , Tahar Amira et Mokhtar Attia
- 01/1952 - 07/1954, il est chargé par le Bureau Politique d'organiser et superviser les actes de résistance en collaboration avec Mohamed Derbal, Belhassine Jrad, Abdelaziz Chouchene, Yousssef Bel Haj Frej, Habib Bellalouna, Hassen Ben Abdelaziz, Sadok El Matourchi, Taieb Ben Belgacem, Houssine Bouzaiane, Taieb Cherif et Hassen Lanouar
- échappe à une tentative d'assassinat par l'organisation terroriste française "La Main Rouge" qui a sévi à la fin du Protectorat, et qui a assassiné de nombreux patriotes dont le Dr. Abderrahmane Mami, le leader destourien Hédi Chaker et le leader syndicaliste Farhat Hached".
Vous remarquerez que jamais Bourguiba n'est cité. Le comble du révisionnisme ayant été atteint le 13 août dernier, quand, pour la fête de la Femme, les pages Tak sur Facebook ont partagé des bribes de son discours lors de leur congrès sous le titre "L'architecte du code du statut personnel".
Je n'ai rien personnellement contre monsieur Ahmed Mestiri et au fond, je ne sais pas grand-chose sur lui autre que ce qui est connu de son parcours honorable, que ce soit au PSD ou au MDS. J'ai demandée à quelques anciens qui l'ont connu ce qu'ils pensent de lui. Les avis sont unanimes: C'est un homme de principes, d'une grande probité mais têtu et psychorigide.
Est-ce là les qualités requises d'un chef de gouvernement pour finaliser cette transition qui dure? Tous ceux qui connaissent, de pas trop loin, la cuisine interne du Tak, vous diront que bien plus que Ben Jaâfar, Mestiri est le théoricien des accords avec Ennahdha. Ce point là, pour moi, est éliminatoire.
J'ai aussi relevé dans son super CV, un autre point éliminatoire: "01/1974, proclame son appui au projet de fusion de la Tunisie et de la Lybie". Bon, je m'arrête, au moins par égard pour les trois sympathisants de Mustapha Ben Jaâfar qui n'ont pas encore décroché, en pensant que mes élucubrations ne sont que de l'anti-takkatolisme primaire.
La reconnaissance du ventre
Dans le fond, ce papier n'est ni à propos d'eux, ni à propos de Bourguiba. Il est à propos de la classe politique tunisienne en général et des gens qui sont au pouvoir en particulier. Il est à propos de la première révolution du XXIème siècle qui a été détournée par des politiciens qui mènent encore des combats révolus du XXème siècle. Des combats anachroniques datant des années 1950, 1960 et 1970.
Il n'est pas à propos de la dichotomie modernistes / conservateurs ou démocrates / non-démocrates, mais à propos de la simple dichotomie générationnelle vieux / jeunes.
Ces jeunes qui ont fait une révolution pour avoir droit à un travail et à un salaire dans la dignité et qui, au lieu de cela, voient des politiciens opportunistes, ignares, insatiables et revanchards se servir de manière indécente sous couvert que c'est leur tour, en n'ayant même pas la reconnaissance du ventre envers ceux qui ont pris tous les risques pour eux. Des politiciens qui au-delà des gesticulations et des aboiements devant les caméras de télévision, n'ont aucune volonté de changer le Statu Quo Ante.
Faut-il une vraie révolution, sanguinaire cette fois, pour expliquer à ces pseudo-centristes mollassons que la priorité n'est pas de trouver un consensus au sein de la classe politique mais de prendre des mesures radicales qui permettent aux laissés-pour-compte de rejoindre les vivants ?
A moins qu'il ne faille d'abord leur expliquer le sens et les raisons d'une révolution!

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