vendredi 28 mars 2014

J’arrive où je suis étranger


Louis Aragon

Rien n’est précaire comme vivre

Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D’où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu’importe et qu’importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l’enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C’est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l’enfant qu’est-il devenu
Je me regarde et je m’étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d’antan
Tomber la poussière du temps
C’est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C’est comme une eau froide qui monte
C’est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu’on corroie
C’est long d’être un homme une chose
C’est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l’heure de tes marées
Combien faut-il d’années-secondes
A l’homme pour l’homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger

mercredi 26 mars 2014

Hymen national, malaise dans l’Islam

Ou quand les hommes placent leur honneur dans ... une membrane vaginale !

Vu hier au cinoche " La Clef " dans le cadre du " Maghreb des films ", un documentaire sur un problème sociétal : la virginité des filles.
Après la projection, il y a eu un débat animé par Jamel Mokni, le réalisateur du film et par Wassyla Tamzali. 

Jamel Mokni dit avoir eu l'idée du film le jour où un ami lui avait demandé un service comptant sur sa discrétion totale : aider une jeune tunisienne à reconstituer sa " virginité ".
Il découvre à cette occasion à la fois une pratique archaïque en Tunisie mais surtout le tabou qui l'entoure !
Il travaillera sur cette question plus de trois ans, le temps pour lui de trouver les personnes qui voudraient bien apporter leur témoignage. 

Quand au titre de son documentaire, il le changera le jour où il a lu dans un opuscule du ministère de la femme et de l'enfant en Tunisie : hymen national au lieu d'hymne national !
Fatale erreur qui va donner plus de poids à son sujet dans lequel il voulait dénoncer l'hypocrisie générale autour de la virginité des filles; puisque " hymen " correspond phonétiquement au mot arabe " ايمان ", qui veut dire " foi " !

L'hymen étant devenu le symbole de l'honneur d'une famille voir de tout un village, il va être sacralisé par les hommes au point qu'ils se laisseront duper par l'hyménoplastie qui redonne une seconde virginité aux filles de plus en plus nombreuses à y recourir.

Si Jamel Mokni refuse de voir dans ce problème une cause pour féministe, persuadé qu'il s'agit d'un problème propre aux hommes qui traduit leur peur des femmes, leur doute sur leur propre sexualité; Wassyla Tamzali y voit plutôt un problème politique maintenu en l'état par un pouvoir qui veut opprimer les hommes car que mieux pour lui que de contrôler leur sexualité pour mieux les tenir !
Ce que je disais du wahabisme, qui fonde tous les islamismes actifs de nos jours et qui instrumentalise aussi la sexualité !

Autrement qu'est-ce qui empêche les gouvernants d'éduquer les peuples et d'instaurer l'éducation sexuelle aux enfants pour rompre avec des croyances qui frisent l'hystérie collective ! Ils rompraient ainsi avec des pratiques archaïques et barbares, sources de tant de souffrance et d'humiliation pour les femmes mais aussi pour les hommes.

Le pire, c'est que les femmes intériorisent ces pratiques et les transmettent à leur tour à leurs enfants, bien qu'elles ont du en souffrir; puisqu'elles finissent par admettre que leur corps appartient à l'homme et que leur virginité appartient à tout le groupe social voir à tout le village quand les parents de la mariée exhibent tel un étendard de leur honneur " sauf ", le drap nuptial maculé du sang de leur fille dans une sordide farandole. Sang provenant de la déchirure de l'hymen lors du viol durant sa nuit de noce (" dakhla " / pénétration du mari dans la chambre nuptiale doublée de sa pénétration sexuelle pour déflorer la virginité de la mariée) ! 
Et gare à celles dont le sang n'aura pas coulé, car sur le champ elles seront répudiées et la honte rejaillira sur sa famille et sur son clan ... se terminant des fois par une guerre que ne manquera pas de déclencher le clan du mari bafoué !! 

Et bien que les femmes gardent un souvenir traumatisant de leur nuit de noce, lors de laquelle le couple est mis à rudes épreuves; lui, devant prouver sa virilité et elle sa virginité, sous contrôle de tout le clan voir de tout le village; et malgré cela, elles perpétuent cette tradition en donnant tous les droits à leur fils, qui se doit de prouver sa virilité en multipliant les conquêtes féminines, mais interdisant tout à leur fille qui doit veiller à rester vierge car l'honneur de sa famille est dans son hymen; puisqu'elles lui inculquent que son devoir et unique plaisir est de donner du plaisir à son mari et que son bonheur est dans la maternité, excluant toute sexualité propre à la gamine ! 

Sexualité que certains voudraient empêcher par des pratiques barbares, comme l'excision ou l'infibulation pour s'assurer la maîtrise du ventre des femmes ! Ce que proposait le sinstre Waghdi Ghanim en demandant à Abdel Fattah Mourou la "circoncision" des fillettes tunisiennes !

Pourtant, quand les hommes politiques veulent, ils peuvent ! 

Faut-il rappeler que Bourguiba avait mis fin à la polygamie, à la répudiation, au mariage coutumier (" Orfi "), et à tant d'autres pratiques archaïques que des oulémas ont accumulées en 14 siècles, exprimant souvent leurs fantasmes les plus fous, pour mieux dominer la femme ... et que des salafistes obscurantistes ont sacralisées sous prétexte qu'elles sont le prolongement de la parole divine; puisqu'elles sont l' " interprétation " humaine de la volonté d'Allah ! 

Pratiques qui ont maintenu les peuples dits "arabo-musulmans" dans un retard civilisationnel, les rendant colonisables comme disait Bourguiba !

A propos de la nuit de noce telle que pratiquée dans les couches populaires, Bourguiba en dénonçait la violence dans un de ses discours " pédagogiques " (" tawjihat errais " / les directives du président) en comparant le marié à un taureau qui saute avec violence sa femelle ... insistant bien par cette image, sur le manque de délicatesse du marié pour ne pas dire sa bestialité et son manque de respect pour la mariée !

Comme quoi, il reste d'autres révolutions à faire ... pour changer les mentalités des tunisiens !

Rachid Barnat
   

Jamel Mokni et Wassyla Tamzali

Réalisateur(s) : Jamel Mokni 
Pays de production : Tunisie
Scénario : Jamel Mokni, 
Né en 1964, nord de la Tunisie. Il intègre la faculté de sciences de Tunis, où il crée un cinéclub. 
En 1990 il part étudier le cinéma en Belgique. Il réalise des publicités, des magazines, des clips et plusieurs courts métrages.
En 1999 il crée sa société de production À Bout de Souffle Production
Synopsis : C’est un réquisitoire impitoyable contre le mythe de la virginité dans la société tunisienne et, plus généralement, dans l’Islam.
L’auteur a été incarcéré deux fois pendant le tournage. Les sbires de Ben Ali n’en voulaient pas.
Le film a été censuré par le pouvoir tunisien. C’était une autre époque.
Le film deviendra-t-il un emblème de la nouvelle Tunisie ? Et d’ailleurs où va la Tunisie ? Et s’il y avait danger pour la laïcité ?

Interview du réalisateur par Jeune Afrique
Jeuneafrique.com : Quel est le message de votre film ?
Jamel Mokni  : Qu’une fille qui a perdu sa virginité ne doit pas avoir honte parce que c’est un acte normal, ordinaire. Pourtant, quand une fille a perdu sa virginité, elle a tout perdu : on la traite de pute, et tout le monde veut coucher avec elle ! J’ai fait le film pour dénoncer l’omerta, le black-out, le silence. Pour changer la mentalité, le regard des gens. D’autant qu’en Tunisie la moyenne d’âge du mariage des filles est d’environ 28 ans. Alors, de leur puberté vers 14 ans, à 28 ans, qu’est-ce qu’elles vont faire ? Le problème se pose réellement car une fille en bonne santé va avoir des envies et donc des relations sexuelles.

Vous donnez la parole aux partisans et aux opposants de la virginité mais vous avez clairement un parti pris…
Jamel Mokni  : Pour moi, un documentaire doit avoir un point de vue documenté. Je connais très bien le sujet, j’ai rencontré pratiquement tout le monde mais, oui, j’ai mon point de vue, clair et net. On voit la souffrance de ces filles… Ce film est un film de droits de l’homme. Je défends les droits de la femme à avoir une relation sexuelle avant le mariage.

Il y a une hypocrisie sociale sur la virginité…
Jamel Mokni  : Les hommes veulent avoir des relations avec les filles qui ont perdu leur virginité, mais après ils veulent se marier avec des filles vierges ! Mais si le vrai problème est dans la tête des hommes, il l’est aussi dans la tête des femmes : elles ont intériorisé qu’une fille doit être vierge le jour du mariage. Du coup, elles essaient de transmettre cette idée à leurs filles et à leurs garçons.

Votre film a été bien reçu lors de la projection-débat, mais vous avez des détracteurs. 
Que vous reprochent-ils ?
Jamel Mokni  : Comme la production a été financée par la Belgique, quelques conservateurs pensent que le film est une tentative des pays occidentaux de nuire à la réputation de la Tunisie ou de régler leurs comptes avec le pays à travers ses ressortissants. Mais ce n’est pas vrai !

Votre film est dédié à Tahar Haddad. Qui est-il ?
Jamel Mokni  : En 1930, ce syndicaliste tunisien très actif a écrit le livre Notre femme dans la charia et la société. Il explique d’une façon très scientifique qu’il est contre la polygamie, la répudiation… et tout ce que Bourguiba [l’ancien président tunisien Habib] a dénoncé par la suite. Tahar Haddad a été empêché de terminer ses études de droit, il a dû s’exiler. Et il est mort à 36 ans d’une crise cardiaque, suite à une tuberculose. À son enterrement, il n’y avait que cinq personnes parce qu’il représentait la honte : “Il a défendu la femme ? Comment ça se faisait qu’il la défende ?” À l’époque, c’était inadmissible.

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Le Figaro.fr/madame : Quel est le regard porté par les femmes sur la notion de virginité aujourd’hui ?
Yvonne Knibiehler : Autrefois, l’un des arguments qui donnait le plus de valeur à la virginité était celui de la
grossesse. Lorsque l’acte sexuel était principalement associé à un acte de procréation, se préserver pour le mariage permettait de maîtriser sa descendance, sa lignée. Cette justification a été écartée par la démocratisation des moyens de contraception, et son caractère symbolique avec. Mais la virginité revêt une importance encore très forte pour les hommes. Déflorer une fille, c’est en faire une femme, c’est une façon de déployer sa force masculine, d’exercer une forme de domination. La gent féminine s’empare aujourd’hui de cette virginité fantasmée par les hommes pour servir sa propre cause. Alors que la peur et l’inquiétude physique de la première fois ne sont souvent plus primordiales, les femmes ont bien compris qu’elles pouvaient encore s’en servir pour manipuler « le sexe fort ». Derrière ces ventes aux enchères, se cachent la désacralisation de la virginité, la prise de conscience du pouvoir sexuel de la femme mais également une question de moralité, propre à chacune. C’est aussi une manière, qui peut être maladroite, de dire « Je fais ce que je veux de mon corps ». 
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Pierrot Lefou


Vierges ? La nouvelle sexualité des Tunisiennes - De Nedra Ben Smaïl - Publié en 2012.

Nedra Ben Smaïl précise que cet ouvrage tourne autour de l’opération qui permet la reconstitution de l’hymen, plus que de la virginité en elle-même. 
Sa thèse est que l’hyménoplastie avait une portée ambivalente, dans la mesure où elle conciliait deux choses qui paraissent incompatibles de prime abord : l’archaïsme de la diabolisation du sexe avant le mariage entretenue par l’ordre patriarcal et la liberté sexuelle.
En effet, la psychanalyste a expliqué que l’hyménoplastie était très répandue à cause de l’archaïsme de l’injonction sociale qui consistait à imposer aux femmes la virginité jusqu’au mariage et, en même temps, cette opération chirurgicale permettait à de nombreuses femmes d’avoir une vie sexuelle et amoureuse avant le mariage.
Ainsi, les jeunes femmes, grâce à la sécurité qui leur était offerte par la médecine, sachant qu’elles pouvaient « recouvrer leur virginité » quelques jours avant le mariage, s’autorisaient des relations sexuelles en dehors du cadre légal du mariage ; d’où la « liberté » dont parle Nedra Ben Smaïl.
Je trouve que le mot « liberté » n’est guère approprié dans le cas d'espèce. Ce n’est pas parce que ces filles ont des rapports sexuels avant le mariage que l’on peut parler de « liberté sexuelle » ; l’hyménoplastie est juste un tour d’escamotage qui évite quelques problèmes à la fille et à sa famille. Même si certaines filles franchissent le pas en se disant que, plus tard, quelques points de suture leur éviteront le scandale, il ne s’agit nullement et en aucun cas de liberté. Ce n’est pas le terme idoine.
Les allégations que Nedra Ben Smaïl a formulées dans la foulée des explications ci-haut décrites me semblent encore plus erronées. Elle estime que les choses ont vraiment évolué depuis les années 2000. Elle pense que la révolution a libéré la parole des Tunisiens, changé leur rapport au corps et à la sexualité et qu’elle a produit en eux une solide conviction des libertés individuelles.
Elle estime aussi que toute une génération, soit les jeunes qui ont aujourd’hui 18/20 ans, a été élevée dans la liberté et que son rapport au corps et à la sexualité est moins régi par les tabous et les interdits. Elle est allée jusqu’à prétendre que la question de la virginité des filles est « tombée en désuétude ». C'est peut-être vrai dans certains milieux, et encore. Une chose est sûre, dès que l'on s'éloigne de la capitale et des grands villes côtières, on est en butte aux mentalités sclérosées.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Nedra Ben Smaïl, et pour cause :
Ses allégations concernant la jeune génération me semblent dénuées de fondement. J’estime que l’émancipation sexuelle passe par un travail intellectuel intrinsèquement révolutionnaire. Le passage à la liberté sexuelle est sous-tendu par une philosophie qui rompt avec le passé, notamment avec certains « principes éternels » et une « loi divine intangible et indiscutable ».
Or nos jeunes ne sont pas assez outillés intellectuellement pour provoquer une rupture épistémologique et se départir de traditions séculaires chargées d'un lourd héritage culturel. Ils pourront se montrer un tantinet plus émancipés que leurs aînés, mais je pense que, comme toutes les générations qui les ont précédés, ils passeront une partie de leur vie à composer avec les tabous et les interdits, à faire une chose tout en prônant son contraire, et ce, sans procéder à une destruction symbolique des carcans culturels et intellectuels pour que s’épanouissent librement leurs sains désirs. Pour que cette destruction puisse avoir lieu, une transmutation intellectuelle et culturelle s’impose.
Autrement, ce serait de la consommation du sexe, et non une liberté sexuelle digne de ce nom et en rupture avec les vieux dispositifs fondés sur l’interdit et la répression. D’ailleurs, ceux qui consomment du sexe sans être pourvus d’une assise philosophique et intellectuelle suffisamment solide peuvent, du jour au lendemain, changer radicalement de mode de vie et sombrer dans la dévotion outrée et quasi fanatique. Et les exemples, ne manquent pas en Tunisie !
Pourquoi l’émancipation sexuelle ne sera pour demain ?
Il faut, avant toutes choses, voir dans quelle société et dans quelle aire culturelle nous vivons. Les femmes ne peuvent revendiquer le contrôle ou la possession de leur propre corps. Les femmes ne peuvent pas encore exprimer leur sexualité aussi librement que les hommes en arguant qu’il s’agit d’une relation entre deux adultes libres et consentants.
Nous vivons dans une société où le sexe qui se pratique en dehors du cadre légalo-acharaïque du mariage est encore condamné moralement et pénalement. Dans l’inconscient collectif, les relations sexuelles avant le mariage sont encore considérées comme une appropriation sexuelle illégitime du sexe de la femme. Par conséquent, lorsqu’une fille acquiert la réputation d’avoir facilement et fréquemment des relations sexuelles, sa valeur d’échange sur le marché des alliances et des transactions matrimoniales se déprécie.
Le sexe avant le mariage est encore considéré sous l’angle d’une faute commise à l’égard de la société. C’est interprété en termes de mauvaises mœurs et considéré comme une faute morale. D’ailleurs, en parlant de faute, toute la société, à commencer par les jeunes dont parle Nedra Ben Smaïl, emploie volontiers le terme « faute » (ghalta) pour décrire tout rapport sexuel avant le mariage. Je ne vois pas nos jeunes précéder à un travail de déconstruction sociolinguistique afin qu’ils se libèrent de ce champ lexical stigmatisant et qui contribue fortement à la perpétuation de cette vision machiste qui est encore très présente dans notre aire culturelle dite « arabo-musulmane ».
Quand Nedra Ben Smaïl estime que la révolution a libéré la parole et changé notre rapport au corps et à la sexualité, cela me laisse dubitatif. Il est vrai que ces dix dernières années se sont distinguées par une liberté de ton inhabituelle, il n’en reste pas moins que c’est le discours des névrosés qui veulent couper court à toute allusion sexuelle qui sévit en maître dans les médias audiovisuels.
Il suffit de se remémorer la polémique suscitée par le look décontracté de la danseuse orientale de la cérémonie d'ouverture du championnat arabe des clubs de Handball. Les médias tunisiens ont poussé la pudibonderie jusqu’à publier des images floutées de la danseuse en question (une pratique largement répandue chez les Bédouins du Proche-Orient).
Pas plus tard qu’hier, l'Association du Festival International de la Fête du Mouled a publié un communiqué de presse dans lequel elle présentait ses excuses auprès du public. En effet, à Kairouan, des filles habillées en jebba s’étaient livrées à une danse qui a été jugée lascive par les Tunisiens. Ce qui a valu aux danseuses et au producteur du spectacle une volée de bois vert, sous-prétexte qu’il s’agissait de la célébration d’une fête religieuse.
Souvenons-nous aussi, à ce propos, du tollé qui a été observé à la suite du baiser qui est passé sur El Hiwar Ettounsi ou de la manière dont a été traitée la question de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire. Les tenants du projet, afin d’apaiser le courroux des endeuillés du slip, n’ont cessé de rabâcher que leur but était d’apporter aux élèves des informations objectives et des connaissances scientifiques.
Il faut comprendre que, sous nos cieux, le sexe ne doit jamais être évoqué comme un plaisir. Le seul discours sur la sexualité qui est plus ou moins toléré, c’est celui où l’on évoque la chose en termes de procréation humaine. L’évocation du plaisir sexuel en public est tout bonnement diabolisée et déclenche des réactions très agressives.
En écoutant les médias tunisiens, et au moment où l’on s’y attend le moins, on tombe souvent sur des personnalités publiques, connues pour leur progressisme et leur ouverture d’esprit, véhiculant un discours conforme à la doxa, voire reproduisant insidieusement des schémas traditionnels et aliénants destinés à conforter la populace dans ses certitudes.
Par exemple, il y a de cela quelques jours, sur les ondes de Diwan fm., dans l’émission La rue du tribunal, l’acteur Kamel Sayari, esprit libre et grand défenseur de la laïcité devant l’Eternel, n’a pas manqué d’insérer des propos réprobateurs et moralisateurs dans les passages du texte qui soulignaient que le jeune tueur dont il parlait vivait avec sa copine sous le toit des parents de cette dernière.
Il serait utile de préciser que le texte lu par Kamel Sayari a été rédigé par Imed Ben Hamida, un journaliste-dessinateur qui éprouve une aversion totale pour les islamo-conservateurs. D’ailleurs, IBH s’en donne à cœur joie aussi bien dans ses dessins que dans ses chroniques hebdomadaires. En revanche, sur Diwan fm., Kamel Sayari et Imed Ben Hamida se doivent d’être conformes à la doxa sociale. C’est vous dire la puissance du conformisme en Tunisie et de la violence sournoise qui se dissimule derrière le discours qui invite à ne pas choquer le public.
En somme, je ne vois pas les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui ont moins de trente ans, une génération de khouanjia (Frères musulmans) qui a grandi dans la médiocrité et le conformisme intellectuel le plus grotesque, revendiquer leur droit au plaisir avant le mariage et se libérer sexuellement. Ils n’ont pas le bagage intellectuel nécessaire pour remettre en question un système de valeurs séculaires très pesant et pour braver des dogmes et des principes encore très vivaces et des plus vénérés.
A mon humble avis, les jeunes d’aujourd’hui risquent de reproduire le même schéma que celui de leurs aînés. Ils ne sont pas près d’expédier aux chiottes les principes qui légitiment la censure qui se pratique au nom de la morale et de la religion et ne peuvent avoir une conception de la sexualité autre que celle qui est téléologiquement orientée vers la reproduction.

JACQUES A REJOINT MIMI

Notre ami Jacques Maréchal a rejoint sa chère Mini Cazendres hier, suite à une longue maladie.
Tant que Mimi était là, elle l'aidait à tenir bon pour lutter contre sa maladie.
Elle était maternelle avec lui et à chacune de ses hospitalisions, elle lui consacrait de manière assidue toutes ses après midi pour lui tenir compagnie jusqu'à la fin réglementaire des visites. C'était touchant de la voir en prendre soin comme d'un enfant. 
Ceux qui ont connu le couple, savent que leur rencontre à la faculté de droit où Mimi assurait le secrétariat, s'est faite sous le signe de l'amour maternel; puisque la maman de Jacques inquiète de l'abandonner dans la grande ville, l'avait recommandé à Mimi, qui tombée sous le charme du grand garçon brun aux yeux bleus, l'avait mis sous son aile maternelle et ne l'avait plus quitté depuis.  

Du jour où Mimi est décédée suite à un accident de la route, Jacques semble avoir perdu ses repaires et ne souhaitait plus lutter contre sa maladie; refusant des fois de s'alimenter et renonçant même aux visites médicales de contrôle du spécialiste qui le suivait.

Jacques nous disait avoir tenu bon et essayé de faire bonne figure, juste pour faire plaisir à Mimi et l'aider elle-même à tenir malgré ses souffrances chroniques. A quoi bon tenter de lui survivre, nous disait-il !

Malgré son très grand chagrin, il a reçu sa mort comme une délivrance pour elle mais aussi pour lui pour en finir avec ses propres souffrances, se sentant libéré de l'engagement moral envers elle et s'autorisant d'en finir.

Deux êtres magnifiques que la mort va réunir à nouveau comme la vie les avait unis pendant plus de 60 ans.

Jacques était un esthète sensible à la beauté aussi bien des choses que des sentiments.

Quand il nous parlait d'un film, d'un livre, d’un opéra, d'une pièce de théâtre ... il essayait de trouver les mots justes pour traduire ce qu'il ressentait ... ce qui exaspérait parfois Jeannine qu'il ne fut pas bref. 
C'est devenu même un jeu entre eux, pour ceux qui les connaissent, nécessitant parfois l'arbitrage affectueux de Mimi pour mettre fin à leur gentille chamaillerie ! 

Il faut dire que Mimi entretenait sa mémoire et celle de Jacques, en citant les choses par leur nom; que ce soit un pays, une ville, un villages, une rue ... visités par eux ou même une plante, un arbre, un animal ou un fruit de mer ... dont elle harcelait Jaques jusqu'à ce qu'il se rappelle du nom exacte et parfois en latin si possible ! Ce qui faisait l'admiration de leurs convives, ce dont Mimi n'était pas peu fière j'imagine; puisqu'elle ne manquait pas de lui rappeler qu'il ne fut pas brillant lors d'un dîner où elle le trouvait terne ... parceque la mémoire l'avait lâché !

Ce départ, sera le deuxième en si peu de temps pour leur complice Jeannine qui n'a pas fini de faire son deuil de la disparition de sa grande sœur.
Jacques lui manquera certainement, lui qui fut leur meilleur ami à elle et à sa sœur. 

Encore un ami qui nous quitte.

Reposez en paix Jacques.

Rachid Barnat


mardi 25 mars 2014

QUE RETENIR DE L'INTERVIEW DE Béji CAID ESSEBSI SUR NESSMA TV ?

Article paru dans : Kapitalis

A la question du journaliste de savoir si l'ANC est légitime ou non et si tartour est légitime ... Béji Caïd Essebsi rappelle que l'ANC a été constituée pour une durée de 1 an, avec pour unique mission la rédaction d'une constitution !

Il confirme dès lors, que tous les constituants n'ont plus de légitimité, dont tartour que Ghannouchi a sorti de leur rang pour le nommer président provisoire de la Tunisie. Et ce depuis le 23 octobre 2012 !

Alors l'opposition et vous même, auriez fait une faute politique de proroger leur légitimité, demande le journaliste ?

Et Béji Caïd Essebsi de nous expliquer que personne de l'opposition ne voulait de la violence à laquelle l'acculait Ghannouchi dont les hommes se maintenaient au pouvoir par la menace de la force, de la violence et du terrorisme !
Ce qui l'a conduite à transiger et chercher le consensus ...

Veut-il dire par là que Ghannouchi a fait un putsch ?

Cependant, il doit être clair pour les tunisiens que le renoncement, la modération n'aboutissent jamais à rien car le problème n'est pas réglé et se reposera tôt ou tard, l'ANC devenant une source de problèmes comme le reconnaît Béji Caïd Essebsi lui même !

La seule voie pour une opposition qui serait responsable, c'est d'asseoir sa position sur des valeurs et de ne pas transiger. Il faut que le religieux soit exclu de la vie politique ! Sans cela rien de bon ne peut arriver et la crise persistera. 
Ce que Bourguiba avait compris avant tout le monde en interdisant tous partis politiques qui instrumentaliseraient la religion (article 8 de la constitution de 1959) ! Ce que les égyptiens viennent d'admettre plus de 60 ans après Bourguiba en déclarant en plus, les le parti des "Frères musulmans", organisation terroriste !
Si cela ne se fait pas maintenant, il est clair que tout pouvoir aura une vive opposition dans les mosquées et qu'il sera amené à sévir. Ne serait-il pas mieux et plus clair que les choses soient dites avant ?

Il est clair, par exemple, que Bourguiba avait une vision politique fondée sur des valeurs même s'il savait louvoyer !

Quelles sont les valeurs de l'opposition ? Ou bien n'est-ce qu'un jeu pour conquérir et exercer le pouvoir sans projet et sans exigence ?

Le peuple, lui est clair dans ses valeurs qu'il n'a cessées de défendre tout au long de la gouvernance par la troïka dominée par Ghannouchi ... mais seul, puisque l'opposition ne l'a jamais suivi dans ses choix ni dans sa lutte; bien au contraire, elle l'a toujours contrecarré dans son action jusqu'à lui mettre les bâtons dans les roues !!
Allant jusqu'à prolonger leur légitimité à des constituants et ce contre la volonté du peuple, et brosser dans le sens du poil Ghannouchi et ses hommes nous les présentant comme indispensables à la vie politique en Tunisie et incontournables ... jusqu'à vouloir pactiser avec eux !!!

Que Ghannouchi tente de nier son appartenance et celle de son parti à la confrérie des "Frères musulmans" peut se comprendre depuis qu'elle est aux abois et inscrite sur la liste des mouvements terroristes en Egypte et en Arabie !

Mais que Béji Caïd Essebsi lui apporte de l'eau à son moulin en affirmant avec aplomb qu'Ennahdha ne fait pas partie de cette confrérie, c'est se tirer une balle dans le pied. 

Peut-on nous expliquer dans ces conditions, quelle différence y a-t-il entre Béji Caïd Essebsi et Néjib Chabbi ? 

Rien donc ne vaut la clarté qui tranche et dissipe les ambiguïtés où niche souvent le «diable» islamiste.


Rachid Barnat



A quoi joue Mehdi Jomaa ?


Par Nizar BAHLOUL

Mehdi Jomâa a du mal à arracher les clous rouillés


Cela fait près de deux mois que le nouveau gouvernement de Mehdi Jomâa a pris ses fonctions et les premiers signes annonciateurs de flottement sont là. Il y a des flottements dont il n’est pas responsable, comme la situation économique dramatique dans laquelle se morfond encore le pays. Et il y a les flottements qui relèvent directement de ses responsabilités et celles de ses ministres. 
Lors de sa désignation par le Quartet, le chef du gouvernement avait une mission bien définie. Dans ce qu’on appelle feuille de route, on ne lui a pas demandé de résorber définitivement le chômage, ni de construire des autoroutes et des zones industrielles. Encore moins de dresser un plan de relance sur cinq ans. Ce que le Quartet a demandé à Mehdi Jomâa se résume en quelques points essentiels dont la prise de mesures urgentes en faveur du redressement économique, rétablissement du climat sécuritaire et l’organisation dans des délais raisonnables d’élections selon les normes démocratiques ordinaires. 

Pour pouvoir atteindre ces objectifs, le gouvernement n’a pas beaucoup de chemins à prendre et se doit, inévitablement, de réviser les nominations partisanes dans l’administration. Il est utopique que ce gouvernement puisse travailler, alors que les cabinets de ses ministres sont infiltrés par des membres qui ne doivent leur poste qu'à une proximité idéologique ou familiale ou amicale avec la troïka déchue. Il est impossible de relancer la machine économique avec des « clous rouillés » dans l’administration. Il est inimaginable que l’on puisse séduire des investisseurs étrangers et convaincre nos partenaires dans les pays amis avec des incompétents dans nos ambassades. Il ne faut pas se voiler la face, il y a des centaines de hauts responsables qui occupent aujourd’hui indument leurs postes et qui continuent à tirer le pays vers le bas. Quelle que soit la bonne volonté et la compétence de Mehdi Jomâa et ses ministres, ils ne pourront rien faire si leurs ordres sont exécutés par des bons à rien. 

Concrètement, et deux mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, on constate hélas que l’entourage de Mehdi Jomâa est encore composé de quelques fidèles à Ali Laârayedh, Noureddine Bhiri et Hamadi Jebali. C’est le même cas pour plusieurs autres ministères parmi lesquels on peut citer la Femme ou le Transport. Leurs responsables de communication continuent à boycotter les médias dits hostiles à la troïka et ne semblent pas du tout se rendre compte que leur ministre n’est plus un CPR ou un Nahdhaoui. Leur mentalité demeure encore partisane et ils oublient qu’ils sont là au service de l’Etat et non d’un ministre.
Idem dans les ambassades. Que faut-il attendre de bon de personnes comme Adel Fekih, Abderrazak Kilani, Khaled Ben Mbarek ou Karim Azzouz ? 
Mehdi Jomâa et son ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, gagneraient peut-être à discuter en off avec quelques diplomates établis à Tunis pour prendre leur avis sur nos ambassadeurs dans leurs pays. Ils entendront des vertes et des pas mûres. Deux exemples pour illustrer ces propos. Dans une discussion de salon (100% off), un diplomate français révèle que notre ambassadeur à Paris aurait déclaré à ses collègues du Quai d’Orsay que la Tunisie ne s’intéresse plus à la France préférant donner la priorité à d’autres marchés du Golfe et de l’Asie notamment. Faut-il encore présenter Khaled Ben Mbarek dont le seul mur Facebook et son apparat dénotent de son incompétence totale en matière de diplomatie ? 
Les chancelleries chancellent et ce n’est certainement pas avec ces gens-là que la Tunisie va pouvoir redorer son image dans le monde. Mehdi Jomâa n’a pas des bras cassés dans les ambassades, c’est pire. Il a des gens qui lui et nous mettent des bâtons dans les roues. Si ce n’est de mauvaise foi, c’est au moins par incompétence notoire. Dis-moi qui t’a nommé, je te dirai qui tu es. 

Autre dossier non-traité par le gouvernement Mehdi Jomâa, celui de la Justice. Alors que la dissolution des LPR figurait parmi ses priorités, on constate avec regret que ces bandes organisées continuent encore à sévir. Jusqu’à ce week-end, leurs membres manifestaient dans les rues. 
Les anciens ministres trainant des casseroles avérées ne sont nullement inquiétés par le procureur ou le juge d’instruction. Deux exemples, Sihem Badi et Rafik Abdessalem. Personne ne parle des auto-nominations et auto-gratifications d’anciens ministres, tels Moncef Ben Salem et Abdellatif Mekki. 
Les députés, élus pour un an et dont le mandat est achevé depuis octobre 2012, continuent à mépriser totalement la justice en faisant valoir une immunité totalement et légalement illégitime. Ils sont au dessus de la loi et procureurs et juges d’instruction ne trouvent rien à redire. Idem pour le scandale du Livre noir. Où en est-on dans les convocations de Mohamed Henid (dont le nom est cité pour une ambassade) et Adnène Mansar ? 
Et puis, il y a les financements occultes des différentes associations nées comme des champignons ces deux dernières années. Certaines d’entre elles ont bénéficié de l’argent public sans que l’on sache trop comment. 

Sans révision des nominations, sans justice aveugle, sans enquêtes sérieuses suivies d’effets concrets sur les financements des associations et des médias proches de la troïka, il ne saurait y avoir des élections transparentes et démocratiques. Les dés seront pipés et l’expérience de transition démocratique sera vouée à l’échec. 
Il est bien clair que Mehdi Jomâa et ses ministres ont trouvé une situation dramatique et pire que ce qui a été annoncé par leurs prédécesseurs. Il est indéniable qu’ils font face à des chantiers titanesques et qu’on leur demande des prouesses herculéennes. Mais il est évident qu’ils sont dans l’obligation de prendre le taureau par les cornes. Ce que l’on constate, c’est que près de deux mois après leur arrivée, ils sont encore en train de brandir la muleta (le drap rouge du matador) en maintenant une distance de sécurité face à leurs adversaires. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses. Dans la corrida, si vous ne prenez pas les devants, le taureau n’hésite pas à vous faire la peau.

lundi 24 mars 2014

ZAIM BOURGUIBA INTERPRÉTÉ PAR Raja FARHAT

Article paru dans : Kapitalis

Raja Farhat rend hommage à Habib Bourguiba en le faisant revivre parmi nous, en nous replongeant dans l'esprit du grand homme.
L’Association "Tun Art Day", a produit au théâtre Gymnase Marie Bell à Paris, la pièce "Le Zaim Bourguiba" de Raja Farhat. 
J’y ai assisté dimanche soir avec de nombreux spectateurs conquis, comme moi, par la performance de l’acteur pendant près de deux heures.

Nous sommes à Monastir. Bourguiba déposé par Ben Ali, après le coup d’Etat médical de novembre 1987, est retenu prisonnier dans un Palais. Il se livre à un long monologue avec une femme médecin chargée de s’occuper de sa santé déclinante.

L’acteur réussit une belle performance car nous voyons Bourguiba avec sa façon de marcher, due à la fois à l'âge et à la maladie, avec sa gestuelle, le mouvement de ses bras et de ses mains, son ton parfois ironique, nous reconnaissons sa voix. Les tunisiens qui l'ont connu, reconnaissent sans peine leur Président, et les jeunes découvrent le grand homme qu'a perdu la Tunisie.

Il  nous raconte appuyé sur le bras de son médecin, sa vie ... et c’est passionnant.

Cela commence par un bel hommage à sa mère et surtout à sa grand mère qui l'avait élevé étant le dernier d'une nombreuse fratrie. "Le paradis est au pied des mères", citation du prophète Mohamed lui rappelle l'importance de la femme dans l'islam, et lui fait prendre conscience de l'immense injustice faite aux femmes; ce qui lui inspirera le statut de la femme. 

Son enfance, sa jeunesse étudiante et notamment son séjour étudiant à Paris où il fera la connaissance de sa première femme Mathilde qui a voulu être enterrée dans le mausolée de Monastir où il a commencé à militer politiquement, avec très vite un projet de redonner au pays sa souveraineté, se démarquant ainsi de l’ancien parti Destour qui se contentait dans ses réunions autour d’un thé au pignon de petites réformes.
Et là il nous précise, ce qui sera sa marque, que s’il combat la France coloniale, il admire cependant, les valeurs de la France des Lumières : "Liberté, Egalité, Fraternité", qui lui ont été apprises par Pierrot son instituteur de Monastir, devenu son ami et qui l’a aidé à Paris en le recommandant à Mathilde. 

La France des communards a envoyé comme instituteurs, nous dit-il, dans ses colonies les « agités, les révoltés » qui étaient des gens merveilleux, porteurs des vrais valeurs de la France. C’est la plus grave erreur des colonisateurs mais c'était une chance pour les Tunisiens !

Nous écoutons le récit de ses combats, de ses emprisonnements, de ses condamnations; avec des moments jubilatoires comme ses réponses à un Procureur qui lui signifiait les charges retenues contre lui.
Il évoque aussi avec passion le refus qu’il opposa de s’allier aux puissances de l’axe, alors que beaucoup de tunisiens étaient prêts à le faire. La victoire, leur disait-il, sera du côté des alliés, prenez le bon chemin pour l’avenir.

Le voilà ensuite Président évoquant le travail de Tahahr Haddad sur le Coran et la place des femmes, les cheikhs de la Zitouna pour qui toute innovation est hérésie. Il rappellera avec délectation comment Ahmed Mestiri chargé de rédiger le statut de la femme, se heurtera aux religieux de la Zitouna qui ne voulaient rien lâcher.  
Ces oulémas à qui il montrait que le Coran interdit la polygamie et à qui il demandait de lui proposer un texte, ils lui proposèrent un texte alambiqué. Mon peuple veut des textes clairs, leur dira-t-il, qu’il puisse comprendre. Puisque le Coran incite à la monogamie, l'homme étant par nature incapable d'équité entre plusieurs épouses, il faut en conclure que "La polygamie est interdite" point c'est tout ! La salle s’esclaffe ! 
Ce que les spectateurs applaudissent, c'est le talent de l'acteur, mais aussi le génie de l'homme politique.

De belles choses aussi sur l’enseignement et l'éducation des enfants. C'était une de ses réussites majeures. Sur sa politique étrangère où il se révéla visionnaire et réaliste, rejetant les vielles lunes du pan-arabisme et du pan-islamisme avec une position en pointe sur le problème palestinien, instrumentalisé honteusement à ses yeux par les pays arabes et qui, aujourd’hui encore fait regretter aux palestiniens de ne l'avoir pas écouté. 

D'ailleurs il a fait le choix de se détourner des "arabes" ne croyant nullement à la pseudo fratrie des peuples "arabes" dont se gargarisent leur chefs. 
Par sa parfaite connaissance de l'histoire, il savait que la Tunisie a vocation à faire partie du monde occidental du fait de sa position géographique dans le bassin méditerranéen et de son histoire commune avec les pays riverains de mare nostrum !

A un moment, le vieil homme fatigué se retire et la femme médecin qui joue le rôle du Dr Saïda Doggui le médecin de fin vie de Bourguiba, reste seule en scène et nous livre dans un monologue la face cachée et un peu plus sombre de Bourguiba, ses atteintes aux libertés, l’absence de réelle démocratie … 

Réapparaissant, Bourguiba s'explique et nous donne sa version des choses : 
- Il s'étonne qu'une partie de la jeunesse tunisienne à laquelle il a tout consacré pour l'instruire et la cultiver, se soit laissée séduire par le communisme dont les ravages se comptent par millions (30 millions en URSS et 40 millions en Chine suite au plan "bond en avant" de Mao) !
- Quant à la démocratie, il rappelle que s'il avait demandé aux tunisiens leur avis sur le statut de la femme ... ils auraient voté contre à plus de 90 % ! Voulant dire par là, que les tunisiens d'alors, à peine sortis du colonialisme, n'étaient pas mûrs encore pour la démocratie ... il fallait assurer d'abord leur éducation et les instruire pour qu'ils deviennent des citoyens responsables, dans la jeune République qu'il construisait. 

Au total une performance remarquable, un spectacle où l’on ne s’ennuie pas un instant; et qui nous éclaire sur la vie et l’œuvre de ce véritable chef d’Etat. Il y avait beaucoup de jeunes tunisiens dans la salle et bon nombres de français. 
Ce spectacle vaut mieux pour eux que toutes les conférences et les colloques d’historiens. Un tel spectacle devrait être diffusé à la télévision car il éduque sans ennuyer et constitue une belle leçon de politique, au sens noble du terme.

On se dit en sortant de ce spectacle, que la Tunisie a eu de la chance d’avoir Bourguiba et qu’elle aurait besoin aujourd’hui, dans la crise qu’elle traverse, d’un homme qui, comme lui, ait une vision claire et positive de son avenir.

Mille bravos à Raja Farhat pour sa belle performance. Il a fait preuve d'une grande intelligence pour avoir dépassé les griefs qui l'opposaient lui et son père Sahbi Farhat, à Bourguiba; lui reconnaissant au final, un "bilan" positif.

Rachid Barnat


*****

UNE RÉVOLUTION SANS DOCTRINE, N'EST PAS UNE RÉVOLUTION.

Celle du 14 janvier 2011 a servi juste pour Ghannouchi l'opposant à Bourguiba, pour prendre sa revanche !
Dommage que les médias télévisuels ne lui consacrent pas une émission hebdomadaire, où il rappellera, avec sa faconde captivante, l'histoire de la Tunisie; utile par les temps qui courent pour inculquer aux jeunes leur histoire nationale mais aussi pour la rappeler aux vieux qui l'auraient oubliée pour aller se fourvoyer chez les obscurantistes pour certains d'entre eux !
R.B

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La rencontre avec Raja Farhat est passionnante, les récits qu’il nous fait à chaque occasion nous transportent. Difficile de l’interrompre ou de couper le fil de ses idées, car son don de narrateur est magique et le sens du détail est si subtil.
De Bourguiba, la pièce de théâtre qui l’habite ces dernières années, à Bourguiba, l’homme et la saga de l’indépendance de la Tunisie, il y a tant d’enseignements à tirer.
Mohamed Raja Farhat, qui nous a accueillis chez lui, partage avec nous sa vision du politique, sa lecture de l’Histoire et ses coups de gueule. Entretien.


L’histoire avec le projet Bourguiba ne date pas d’aujourd’hui…

J’avais déposé un scénario Bourguiba au ministère de la Culture du temps de Ben Ali, le ministre de la culture de l’époque avait annoté le scénario ainsi «la vigilance», ce qui voulait dire que le projet était refusé. Mais il continuait à me travailler. D’ailleurs, je n’étais pas le seul à réagir au quart de tour dès que l’on évoque l’œuvre et la vie de Bourguiba. Bourguiba, c’est un siècle, et je suis parti de ce constat : Bourguiba, c’est le 20e siècle tunisien. Il est né avec le siècle et mort avec lui. Et plus que tout autre personnage de notre histoire, il a marqué ce siècle.

En tant qu’artiste passionné d’histoire et surtout de détail, quelle lecture faites-vous de ce personnage d’exception ?

J’étais élevé dans le culte de Abdellaziz Thaâlbi, le fondateur du vieux Destour, puis dans le culte des grands cheikhs de la Zitouna, Tahar Achour et Fadhel Ben Achour, et puis, naturellement les grands personnages sociaux comme Mohamed Ali Hammi auquel j’ai consacré une pièce au sein de la troupe de Gafsa que j’ai interprété avec 20 kilos de moins. 
Mais avant de parler de Bourguiba, j’ai envie de raconter Hammi, un des personnages qui ont balisé l’œuvre de Bourguiba. Hammi nous revenait de Berlin avec des idées absolument révolutionnaires, il apportait des réformes considérables en plus de sa défense de la classe ouvrière, il a disparu de la scène politique en 1926 après sa condamnation au bannissement et il est mort en chauffeur de taxi entre Jeddah et la Mecque. 

Et lorsque nous avons joué la pièce sur Mohamed Ali Hammi au théâtre du palais de Carthage, Bourguiba se retournait vers ses ministres en leur disant: «Ces jeunes ont compris Bourguiba», ces jeunes ont compris l’importance de Mohamed Ali Hammi.

La saga de l’indépendance n’est pas une œuvre exclusivement bourguibienne ?

Cette saga m’a beaucoup intéressée parce que les idiots qui parlent de Bourguiba aujourd’hui n’ont pas idée de ce que cette élite intellectuelle a subi pour la libération de la Tunisie.

Bourguiba avait une ligne politique réaliste et pensait qu’il ne fallait pas rompre avec la société traditionnelle : «J’ai besoin du sefsari, j’ai besoin des cheikhs de la Zitouna, j’ai besoin de l’Islam pour ma campagne de libération de la Tunisie», semblait-il dire. 
Il va changer vers la réforme quand il sera arrêté et déporté avec ses camarades à Borj Lebœuf, horrible prison militaire du sud tunisien. Bourguiba, Tahar Sfar, Bahri Guigua et Mahmoud Matri ont passé deux années insupportables. Tahar Sfar qui était asthmatique cherchait l’air pur du Sahara sous la porte métallique, Bahri Guigua a dû subir l’épreuve du Sac de pierres qu’il devait porter sur le dos dans le désert, pourchassé par les gardes coloniaux.

Les événements sanglants d’avril 1938, des dizaines de Tunisiens morts dans les rues de Tunis mitraillés par les forces coloniales pour avoir demandé un parlement tunisien, l’enseignement de l’arabe, l’égalité des salaires. En ces temps-là, qui avait ces idées-là sauf cette élite avant-gardiste ? Il y a de quoi impressionner. Mais il y eut le massacre des étudiants zeitouniens et sadikiens dans les rues de Tunis conduits par Ali Balhouane qui était le président de la jeunesse tunisienne. L’autorité coloniale décide d’arrêter tout le monde et de les mettre dans les sous-sols de la prison de la kasbah. Bourguiba y est resté des mois. Voilà le traitement infligé par la France à l’élite intellectuelle de la Tunisie. 

Puis vint la 2e Guerre Mondiale avec l’épisode Moncef Bey durant lequel la Tunisie est devenue en peu de temps le théâtre d’affrontements intempestifs ; et alors que les Tunisiens applaudissaient les Allemands (l’ennemi de mon ennemi est mon ami), Bourguiba, en grand visionnaire, n’a jamais perdu la foi en le monde libre et les principes de démocratie et de justice.

Trop de détails qui donnent un éclairage sur de grands chapitres de l’Histoire contemporaine tunisienne, comment faites-vous ?

Je me noie dans tous les détails parce qu’ils sont passionnants et parce que c’est une histoire qui n’est pas connue. C’est pour cela que les gens sont venus voir la pièce de Bourguiba qui raconte tout cela dans les moindres détails de la libération de la Tunisie. Toutes les zones d’ombre qui étaient maintenues en place naturellement servent le fantasme des anti-Bourguibistes qui ne savent rien de cette histoire. Ils n’étaient pas là quand la Tunisie manquait d’hommes pour affronter la France, quand la Tunisie était fusillée, emprisonnée, résistante quand les militants nationalistes étaient emmenés à Sijoumi, capturés par la gendarmerie française condamnés à mort et criant face aux gardes qui allaient les fusiller «Vive la Tunisie. Vive Bourguiba». Il y avait une foi tunisienne nationale avec une force incroyable malgré la pauvreté et la misère mais qui tenait bon avec des gens comme Bourguiba.

Donc, c’est le théâtre qui sert de piqûre de rappel à une classe politique que vous jugez inculte ?

Ce sont des événements que les gens ignorent, que les excités font semblant d’ignorer parce qu’ils ne lisent pas, ne s’informent pas, ne se documentent pas, ne savent pas ce qui fait l’âme de ce pays.

Quels sont pour vous les moments les plus cruciaux ?

Deux événements populaires ont secoué la Tunisie. D’abord, les funérailles de Moncef Bey conduites par Farhat Hached et la centrale syndicale qui était la seule force capable de conduire le bey adoré à sa dernière demeure sans incidents majeurs.

Ensuite, après la défaite française à Dien Bien Phu et l’annonce de Mendès France concernant l’autodétermination tunisienne, la Tunisie a vécu le retour triomphal de Bourguiba le 1er Juin 1955, il y avait 500.000 Tunisiens à La Goulette sur une population ne dépassant pas 3 millions.

Je tiens à rappeler que le jour de la signature du traité de l’indépendance, et toute la délégation y compris Tahar Ben Ammar qui a écrit une lettre reprise et publiée par Béchir Ben Yahmed dans «Jeune Afrique» disant : «au combattant suprême, Habib Bourguiba, inspirateur et ingénieur architecte de cet accord de l’indépendance, la délégation tunisienne vous rend hommage». Voilà la vérité historique, et non pas les bavardages de café, ça c’est les faits et les documents … c’est l’Histoire.

Si vous venez à résumer Bourguiba en une phrase ?

Chokri Belaid a résumé l’œuvre de Bourguiba dans une interview et il disait que Bourguiba avait le sens du temps en politique. Il a réalisé toutes ces réformes en l’espace de quelques mois en 1956. Il tunisifie la police, crée l’armée en juin, en juillet il a unifié la justice, liquidé les Habous et puis en août ce fut le Code du statut personnel, il n’avait pas de temps à perdre. Et c’est ainsi que la Tunisie fit la plus grande révolution sociale du monde arabo-islamique. 
Voilà des étapes essentielles de la construction de la Tunisie moderne et indépendante, pas le bavardage des ignares qui profitent des micros tendus de certains plateaux pour dire des insanités. Et c’est ainsi que se termine le premier volet de la saga de Bourguiba, le second c’est Bourguiba chef d’Etat avec des erreurs, des insuffisances, en poursuivant une marche triomphale vers la pleine souveraineté de la Tunisie.

Et de nos jours, voyez-vous venir une réelle révolution culturelle ?

Non, c’est une reculade, le départ de Ben Ali est une très bonne chose, un chef qui a déserté son poste, mais c’était une révolution sans doctrine, sans idéologie, sans plan politique. Et qu’est-ce qu’elle a permis, la révolution ? Le retour de Ghannouchi après 20 d’exil en Angleterre et le retour de ces figures islamistes qui n’ont rien compris à l’Histoire de la Tunisie, qui n’ont rien compris à l’évolution du peuple tunisien, ils n’ont pas pu venir à bout de la machine du savoir bourguibienne et messaidienne. Ce dernier qui a créé la république des écoles « une école sur chaque colline» et des gens comme lui, je cite Chedly Klibi, Hédi Nouira, Ben Salah et j’oublie certains qui furent la charpente pour fonder l’Etat tunisien.

Mais votre constat est bien amer…

Absolument pas, quand je vois des Tunisiens aujourd’hui l’air patibulaire et triste disant que la Tunisie va mal, je m’insurge. Vous savez que la Tunisie a été effacée de la carte en 1969 par les inondations, mais tout a été reconstruit, tout a été remis en marche avec le gouvernement Nouira et en l’espace de 3 ans, la croissance était à deux chiffres grâce à des gens comme Mansour Moalla, Sadok Ben Jemaa, Azouz Lasram et à toute l’équipe qui a conduit l’économie tunisienne.

Qu’en est-il de l’avenir, à votre avis?

Notre génération a vécu la révolution culturelle de Mao Tsé-toung qui consistait, avant tout, à brûler les bibliothèques. Quand j’écoute la jeunesse du président Kais Saïed, je me rappelle la jeunesse de Mao Tsé-toung qui ne savait rien et qui ne voulait rien savoir et qui brûlait les livres. A cette jeunesse je dis «Vous n’êtes une jeunesse valable pour la Tunisie que si les clés du savoir, des sciences, du droit, des mathématiques seront à votre portée».

Mais la jeunesse est désespérée et le taux de chômage ne cesse de grimper.

Aujourd’hui nous manquons de bras pour la cueillette des olives et pourtant nous avons des centaines de milliers de jeunes chômeurs.
La Tunisie est un pays riche par sa jeunesse magnifique, il suffit que les politiques arrêtent de mentir et d’éloigner les Tunisiens de leur véritable chemin.

Rappelons que la Sicile voisine était à notre niveau actuel de développement il y a 30 ans. Il faut défier le sort, les contraintes, faire verdir le Sahara comme le font les gens de Nefta ou de Gabès…il y a toujours des opportunités, il n’y a pas de pays condamné à la pauvreté ad vitam aeternam. Au lieu de vendre du vent aux Tunisiens, présentez des idées, des projets…quand je vois la saga de nos enfants dans les universités européennes et américaines, et l’on se demande pourquoi ils ne reviennent pas … la réponse est claire, c’est parce que les démagogues sont là, les menteurs et les incompétents sont là. 

Une révolution qui ne parle pas le langage de la vérité est condamnée, la nôtre est condamnée actuellement parce qu’elle ne dit pas la vérité.

Est-ce que la culture a encore son mot à dire ?

La Tunisie n’a pas d’avenir sans culture, les compétences ne manquent pas dans les différents secteurs. La culture pour moi n’est pas seulement nos grandes institutions comme la Rachidia que je vénère, ce n’est pas le théâtre national qui devrait retrouver une nouvelle jeunesse, ce qui compte, ce sont les petits théâtres, les expériences nouvelles et inédites, les écoles de danse et de musiques inconnues du bataillon, ce sont les écrivains, les poètes, les peintres dans leurs ateliers et qui fleurissent dans les expositions internationales.
Et tout cela échappe à l’organisation administrative et verticale du ministère de la Culture qui ne s’est pas encore débarrassé de sa structure administrative soviétique. 

Aujourd’hui, il est important de concevoir un nouveau département de la culture qui s’apparente plus à une société nationale de création d’intelligence, de projection sur les nouvelles technologies de la culture.