lundi 16 juin 2014

Le mirage de l'islam politique

Article paru dans : Tunisiefocus

Quand l'administration américaine se trompe, ce sont les peuples dits "arabo-musulmans" qui trinquent !
Pourtant Obama a suscité un grand espoir avec son discours du Caire ... pour lequel il a reçu le prix Nobel de la Paix en 2009 ... prématurément !!
R.B

Mustapha Tlili*

" Vous devez conserver le pouvoir par le consentement et non la coercition; vous devez respecter les droits des minorités et participer, dans un esprit de tolérance et de compromis; vous devez placer les intérêts du peuple et le déroulement légitime du processus politique avant ceux de votre parti. Sans ces ingrédients, les élections seules ne font pas une vraie démocratie ".

Le président Obama a prononcé ces mots dans son discours du Caire, il y a cinq ans, quand il a tendu la main pour réhabiliter l'islam et la civilisation islamique dans les yeux du monde. Et racheter l'Amérique dans le yeux de la communauté musulmane mondiale après les discours de guerre en Irak et en Afghanistan.
Le  Caire faisait partie de la Feuille de route axée sur les conseils du rapport  "2008 " pour changer de cap : Une nouvelle orientation pour les relations américaines avec le monde musulman, rédigée par le groupe sur "l'engagement États-Unis-musulmans", composé d'anciens hauts fonctionnaires du gouvernement, à la fois démocrates et républicains, ainsi que de chercheurs (moi, y compris), les analystes politiques et spécialistes des relations internationales.

Nous étions tous préoccupés par le fossé entre l'Amérique et le monde musulman, et nous avons recommandé que le nouveau président prononcera un discours important dans une capitale islamique significative - Le Caire, Istanbul, Jakarta ou Rabat - s'adressant directement au monde musulman. C'est ce qu'a fait M. Obama à l'Université du Caire, le 4 Juin, 2009. 
Depuis, l'Égypte a connu "le printemps arabe," suivi par l'élection des Frères Musulmans et leur accession pouvoir, suivi de leur chute. 

Si le message de M. Obama de 2009 avait été rappelé avec force à l'ancien président de l'Égypte, Mohamed Morsi, avant qu'il n'ait été évincé par l'armée en juillet dernier; les espoirs des Arabes et des Musulmans dans le monde entier après le discours de Caire, n'auraient pas été déçus, comme ils le sont aujourd'hui. 

Malheureusement M. Morsi a méprisé tous les "ingrédients démocratiques" retenus par Obama en 2009, lors de son mandat tumultueux d'un an auquel l'armée a mis fin en juillet 2013 : Il a forcé le passage de la constitution de 2012 des Frères Musulmans, par décrets il s'est placé au-dessus du pouvoir judiciaire, il n'a pas su protéger les Chrétiens Coptes, il a laissé faire les vendettas contre les journalistes et les activistes, traitant l'opposition laïque comme des ennemis à éliminer de la vie politique. 
Bref, le président égyptien a favorisé les objectifs politiques des Frères musulmans en charge de la nation, faisant exactement le contraire de ce que souhaitait M. Obama.         

Le résultat est que l'administration Obama s'est trouvée dans une position inconfortable. Comme le fait remarquer le président de l'Assemblée générale des Nations Unies, en septembre dernier : " L'Amérique a été attaquée de tous côtés dans ce conflit interne, accusée simultanément de soutenir les Frères Musulmans et d'être à l'origine de leur chute."

Mais si l'administration américaine avait été plus critique à propos des infractions de la Fraternité, aux droits démocratiques, elle aurait pu éviter cette situation. Aulieu de cela, lorsqu'on l'interroge sur le fait que M. Morsi en Novembre 2012, s'est accordé des pouvoirs extraordinaires, un porte-parole du Département d'Etat a répondu : "C'est un processus politique égyptien." 
M. Obama a beau avoir dit que "des élections seules ne font pas la démocratie", l'Amérique a agi comme si les élections en Égypte étaient suffisantes. Comme le rappelle l'ambassadeur des EU en Égypte, Anne Patterson : " Le fait est qu'ils ont participé à une élection légitime et l'ont gagnée" -  Comme si cela réglait la question de l'aptitude de la Fraternité pour le pouvoir démocratique.

En Tunisie, l'administration Obama a adopté une attitude similaire et erronée envers Ennahda, le parti Islamiste alors au pouvoir, malgré les allégations de liens avec les extrémistes suspectés dans les assassinats des politiciens laïcs en vue, dont celui de Chokri Belaid en février 2013 et celui de Mohamed Brahmi en juillet 2013. 
Après que l'Ambassade américaine à Tunis a été attaquée par les associés Salafistes d'Ennahda, Ansar Al-Sharia, en septembre 2012, les médias tunisiens ont révélé que le leader d'Ennahda, Rachid al-Ghannouchi, avait déjà rencontré des militants salafistes et les a conseillés sur la stratégie politique à suivre
Avant son retour en Tunisie de l'exil en 2011, M. Ghannouchi a été salué à Londres et Washington comme un démocrate musulman et un parangon de modération. 

Cinq ans après le discours du Caire, le soutien malavisé de l'administration américaine à ces régimes, est clairement une erreur stratégique due à l'incapacité à saisir la nature de l'islam politique. A la base, cette erreur de jugement repose sur la conviction que les islamistes étaient la voix légitime de l'islam. Ce n'était pas ce que notre groupe entendait par "l'engagement des musulmans." 

Pendant les décennies de dictature dans le monde arabe, les islamistes eux-mêmes se "vendaient" à l'Ouest comme des mouvements «modérés» qui cherchaient à réconcilier l'islam avec la démocratie. En réalité, ils étaient partisans d'une idéologie messianique dont le principe fondamental est de mettre en œuvre la volonté de Dieu sur terre. Alors qu'ils ont réussi à dissimuler leurs véritables intentions lors des pourparlers à Chatham House et avec le Conseil sur les relations étrangères, car ils savent qu'ils ne peuvent être le partenaire dont l'Amérique avait besoin. 

Comme l'équipe d'Obama souhaitait en finir avec les guerres de l'administration Bush, elle avait besoin d'amis dans le monde arabe. C'est ainsi qu'elle s'est fourvoyée en misant sur l'Islam politique "modéré".

Si les américains ne s'étaient pas laissés prendre par l'intérêt factice des Islamistes pour la démocratie, ils auraient pu prêter plus d'attention à la nouvelle force politique suscitée par le "printemps arabe" : laïcité démocratique. 
Malheureusement, les États-Unis n'ont pas su reconnaître la nécessité de renforcer les partis démocratiques laïcs du monde musulman pour favoriser leurs partisans, qui veulent construire une société basée sur la tolérance, la modération, l'État de droit, des droits de la femme et des libertés constitutionnelles. 

Tout comme l'Amérique avait œuvré pour arrêter la propagation du communisme après la Seconde Guerre mondiale, l'administration Obama aurait pu investir dans les groupes de la société civile et des partis laïcs et démocratiques dans le monde. 

Ceux qui ont cru en l'islamisme "modéré", battent en retraite. Il a fallu un an pour que l'incompétence des Frères musulmans en Egypte soit révélée ! (La chute d'Ennahda en Tunisie a pris plus de temps). 
Washington doit admettre la nouvelle donne et collaborer avec le gouvernement al-Sissi en Egypte et avec les partis politiques laïcs en Tunisie avant les élections nationales programmées pour cette année. 

Comment canaliser les aspirations de cette partie des sociétés égyptiennes et tunisiennes, qui est rurale, pieuse, analphabète et conservatrice et qui reste un véritable défi. En général, ces personnes sont pauvres et sans ressources économiques. De la période des dictatures  aux élections rendues possibles par le printemps arabe, ces populations ont été courtisées par les islamistes pour constituer des circonscriptions fortes. En Egypte et en Tunisie en particulier, mais dans tout le monde musulman, les systèmes politiques doivent trouver des moyens pour intégrer ces communautés dans la vie politique et économique de la nation.

Ce n'est pas seulement pour des raisons de justice sociale, mais aussi pour fermer la porte à l'islamisme, qu'il soit «modéré» ou djihadiste. Dans cette tâche difficile, l'Amérique devrait aider et non entraver les démocrates laïques du monde musulman. 
Il est dans l’intérêt national de l'Amérique.

* Mustapha Tlili, un romancier et un chercheur à l'Université de New York, est le fondateur et directeur de l'Université de New York Centre de Dialogues : Monde islamique - États-Unis - l'Occident.

PS : texte traduit par Rachid Barnat

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