mardi 12 janvier 2016

La course sans fin aux religions finira par tuer la laicité

La France berceau de la laïcité, malmène cette règle du vivre ensemble en faisant la part belle aux communautarismes religieux. Le pire pour ceux qui aspirent à la laïcité parmi les peuples du fumeux "printemps arabe", c'est qu'ils doivent lutter contre les Frères musulmans mais aussi contre de l'UE et donc contre la France ... qui les soutiennent, pour instaurer la laïcité chez eux !
R.B
Afficher l'image d'origine
professeur de science politique à l'UVSQ-Paris Saclay.

Visite de Hollande à la Grande mosquée de Paris : la course sans fin aux religions

Laurent Bouvet réagit à la visite surprise de François Hollande à la Grande mosquée de Paris. Pour le politologue, le président de la République n'est pas vraiment dans son rôle.

Le président s'est rendu à la Grande mosquée de Paris pour une visite surprise, en marge des commémorations en l'honneur des victimes des attentats de Paris en 2015. Comment interprétez-vous ce geste? Le président de la République est-il dans son rôle?

Laurent Bouvet: En matière de relation entre les principaux dirigeants de l'Etat, le président de la République au premier chef, et les religions, il y a deux attitudes possibles. Celle d'une coupure claire et nette: ni le président ni le premier ministre ni même un membre du gouvernement ne se rendent, au titre de leur fonction, dans un lieu de culte, afin de n'opérer aucune sorte de distinction ni de risquer de marquer une quelconque préférence voire de déférence à l'égard de telle ou telle croyance. C'était l'attitude d'un Georges Clemenceau par exemple. L'autre est celle que pratiquent nos dirigeants actuels, de droite et de gauche, qui conduit à interagir régulièrement avec des représentants des différents cultes non simplement pour régler des questions pratiques - c'est évidemment le rôle du ministre de l'intérieur qui a en charge les cultes - mais surtout pour des questions d'affichage public, afin d'«équilibrer» le traitement politique des différentes religions, afin qu'aucune ne se sente oubliée ou, pire encore, stigmatisée. Et je ne mentionne pas ici les arrière-pensées électoralistes toujours possibles.

Le risque d'une telle attitude sinon complaisante du moins empathique à l'égard des religions est triple. D'abord, celui de laisser penser qu'une forme de traitement communautaire de la société par ses hauts responsables est préférable à une neutralité rigoureuse, et donc que la laïcité peut être définie comme simple coexistence des religions. Ensuite, celui d'un engrenage sans fin qui fait que dès qu'un geste est fait en faveur de telle religion, il faut en faire un autre immédiatement pour compenser le premier ou montrer que l'on n'en privilégie aucune. C'est ainsi que j'interprète la visite de François Hollande à la Grande Mosquée ce week-end, alors que les commémorations de la tuerie de l'Hyper Cacher du 9 janvier 2015 ont mis, à juste titre, en avant la religion ou la culture juive des victimes. Enfin, parce qu'une telle attitude de nos dirigeants peut donner le sentiment à tous nos concitoyens éloignés de la religion - et en France ils sont très largement majoritaires - qu'il y a un traitement particulier voire privilégié des croyants par rapport aux autres. C'était le sens, très explicite, des propos de l'ancien président, Nicolas Sarkozy, quand il déclarait dans son discours du Latran en décembre 2007 que «l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur».

Personnellement, et compte tenu de ces multiples inconvénients, il me semble que l'attitude de neutralité stricte est préférable. Cela éviterait bien des impairs et des dérives, cela permettrait aussi de pouvoir parler aux citoyens sans prendre en considération leurs différences en termes de croyances.

Pour Henri Guaino, cela accrédite «qu'il y ait une stigmatisation, qu'il faut la combattre.». Cette stigmatisation n'est-elle pas bien pas réelle?

Laurent Bouvet: Ce que souligne Henri Guaino fait partie en effet des risques d'une telle attitude, «ouverte», envers les religions. Aller à la Grande Mosquée de Paris alors que l'on commémore les attentats de janvier dernier, c'est vouloir montrer que les musulmans ne doivent bien évidemment pas être tenus pour responsables en tant que croyants des actes qui ont été commis par des terroristes se réclamant de l'islam, mais c'est aussi prendre le risque de pointer du doigt ces mêmes croyants, comme si leur religion les désignaient de manière spécifique. C'est du même ordre en l'espèce que d'enjoindre les musulmans à défiler après un attentat de ce genre pour montrer qu'ils sont contre le terrorisme.

Or de telles injonctions sont paradoxales: pourquoi les musulmans devraient-ils particulièrement montrer qu'ils n'ont rien à voir avec le terrorisme davantage que d'autres citoyens? La stigmatisation par amalgame est ainsi une arme à double tranchant. Elle est bien sûr le fait de certains de nos concitoyens qui font le lien entre terrorisme et islam, mais aussi le fait de ceux qui entendent dénoncer cet amalgame en désignant les musulmans comme victimes spécifiques - alors qu'ils n'ont pas été visés comme tels dans les attentats - ou en les enjoignant à se mobiliser comme «communauté» pour montrer qu'ils ne sont pas liés au terrorisme.

Il me semble que la réaction remarquable de l'ensemble de nos concitoyens de ce point de vue, face aux attentats qui ont frappé le pays l'an dernier, suffit à invalider ce genre de considérations. Il n'y a ni amalgame ni stigmatisation pour l'immense majorité des Français vis-à-vis de leurs compatriotes de religion ou de culture musulmane. Aux politiques dès lors de ne pas mettre d'huile sur le feu ou de ne pas créer des problèmes là où ils ne se posent pas.

Selon le député des Yvelines, «il n'y a pas de stigmatisation, il n'y a pas de juifs français, de musulmans français, de catholiques français, il y a des Français catholiques, juifs, musulmans». En conséquence de quoi Henri Guaino a estimé qu'il faut désormais que François Hollande «aille demain dans une synagogue, après-demain à Notre-Dame de Paris»…

Laurent Bouvet: C'est le risque de l'engrenage dont je parlais plus haut… Et c'est sans fin. Car dans une telle course aux religions, on peut toujours être soupçonné de moins bien traiter l'une ou de privilégier l'autre - pour telle ou telle raison. Comment faire dès lors que l'on a mis le doigt dans un tel engrenage? Comment en sortir sinon en refusant, de manière stricte et très déterminée, dans les actes comme dans les discours et les formulations pour les désigner, toute différenciation de nos concitoyens en raison de leur croyance religieuse?

La manière dont l'exécutif cible des segments de la population vous paraît-elle conforme aux principes républicains?

Laurent Bouvet: Cibler des segments de population pour des raisons sociales ou territoriales n'est pas un problème en soi. C'est même un principe d'efficacité des politiques publiques, et c'est tout à fait nécessaire voire indispensable dans des cas d'inégalité ou de discrimination.

Le problème se pose à partir du moment où l'on sort de ces deux modalités de ciblage, pour de nombreuses raisons. La principale, à mon sens, étant que tant du point de vue de la catégorie sociale que du territoire, il y a toujours de la mobilité possible. Et s'il y a des obstacles alors les politiques publiques sont précisément faites - ou devraient l'être plus et mieux disons - pour les surmonter. Si l'on considère en revanche les individus et les groupes à partir de critères liés à leur identité (genre, religion, origine ethno-raciale…), l'ajustement des politiques publiques devient beaucoup plus difficile. C'est une question désormais bien connue avec le recul historique de l'application des mesures dites de discrimination positive sous différentes formes dans différents contextes nationaux et régionaux.

Le principal risque de lutter contre les inégalités de traitement et les discriminations à raison de critères de ce genre en privilégiant les individus et les groupes sur ces critères, c'est de nourrir la stigmatisation dont ils sont déjà l'objet de la part du reste de la population ou du moins en son sein. En clair, de les enfermer encore davantage dans leur identité particulière dont le critère aura été isolé et mis en avant dans telle ou telle politique publique. Ce risque tient à la difficulté de la mobilité à partir de critères identitaires.

On peut certes changer de religion ou se défaire de celle que ses parents ont choisi pour vous mais ce n'est pas toujours très facile, et la protection de cette possibilité par le droit et par la société invite précisément à favoriser non pas le critère religieux lui-même mais bien la neutralité publique au regard de toute croyance religieuse. Si l'on considère les questions de genre ou d'origine ethno-raciale, là, c'est encore plus compliqué, évidemment.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire