lundi 31 octobre 2016

LES FRÈRES MUSULMANS : TOUT EST BON POUR L'ENDOCTRINEMENT !

En Tunisie, Ennahdha ne recule devant rien pour recruter ses "sympathisants" : si par l'argent elle a su acheter l' "adhésion" des pauvres; pour les classes plus instruites, elle instrumentalise les "scientifiques" et le "savoir" pour diffuser le wahhabisme qui fonde son action politique, dans des esprits à priori cartésiens et qui lui résisteraient encore !!

Une amie FB raconte sa mésaventure : Issue du milieu médical et curieuse des pratiques dites "médecines douces", elle a participé à un stage d'hypnose pour en savoir un peu plus sur cette technique à laquelle recourent de plus en plus de médecins ... en Tunisie aussi.

Elle a été étonnée de voir que l'animatrice du stage soit "foulardée", se présentant comme biologiste et femme à l'esprit ouvert !

Mais ce qui l'a le plus choqué, c'est sa façon d'aborder la question de l'hypnose sous un angle "islamiste" en posant la question à son auditoire de savoir si l'hypnose est "halal" (licite) ou "haram" (illicite); pour leur confirmer que selon la fatoua "x", l'islam l'autorise !

Mon amie a interpellé l'animatrice pour lui demander que vient faire le "halal" et le "haram" dans un tel stage ? Elle lui demande si elle est biologiste ou théologienne pour mêler la religion à l'hypnose !
Serait-elle une nahdhaouie, lui demande-t-elle, au service d'Ennahdha pour "suggérer" par l'hypnose la sympathie et l'adhésion à ce parti ?? 

Devant la confusion de l'animatrice qui ne s'attendait pas à une telle intervention, mon amie a dénoncé sa supercherie et lui demande si elle n'était pas en service commandé pour instrumentaliser la "curiosité intellectuelle" des participants et endormir leur vigilance avec des discours "rassurants" émanant d'une "scientifique", pour leur distiller le wahhabisme ... qui fait déjà des ravages chez les petites gens tombées dans le panneau des Frères musulmans !!

Comme d'autres le font en mettant à profit les heurs et malheurs des petites gens, quand ils viennent les "aider" lors des cérémonies de mariage, de circoncision, de décès .... pour les initier au wahhabisme en leur inculquant son b.a.-ba à force de "halal" (licite) et de "haram" (illicite), pour leur dire ce qui est permis ("yajouzou") et ce qui ne l'est pas ("la yajouzou") !

Et sur ce, mon amie FB a décidé de partir, sous les applaudissements d'autres participantes qui l'ont complimenté pour avoir débusquer la Nahdhaouie et dénoncer ses méthodes mises au services de son parti !

Elle regrette que d'autres qu'elle n'ont pas boycotté le "stage" et se dit être triste de savoir qu'Ennahdha a infiltré tout le tissu social, usant et abusant de tous les stratagèmes. Elle réalise combien il faut rester vigilant pour ne pas tomber dans le piége de l'endoctrinement au wahhabisme des Frères musulmans.

Pôvre Tunisie !

Rachid Barnat

dimanche 30 octobre 2016

Les américains poursuivent leur théorie du chaos créateur, à Mossoul comme ailleurs dans le monde "arabe" !

En Irak, en Libye, ou en Syrie ... c'est le même cirque américain !
Les américains luttent contre les jihadistes qu'ils instrumentalisent par ailleurs, en jouant des alliances entre les différents groupes de terroristes !
A Mossoul c'est la même incertitude quant au lendemain de la guerre ... à moins que ce soit à dessein !
R.B
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spécialiste de l’Irak pour le programme de recherches Wafaw (When Authoritarianism Fails in the Arab World) - Sciences-Po - Ceri, s’inquiète de l’absence de stratégie politique pourtant indispensable afin de gérer Mossoul, une fois que la ville sera libérée de l’Etat islamique.
Les conditions pour lancer la bataille de Mossoul sont-elles réunies ?

D’un point de vue militaire, oui. La ville de Mossoul et son million et demi d’habitants sont encerclés. Au total, plus de 100 000 combattants sont mobilisés au sein d’une coalition fourre-tout. En face, on estime qu’il y a 5 000 jihadistes de l’Etat islamique. Sans que l’on sache d’ailleurs s’ils combattront ou se retireront. Le rapport de force est évident.
Comment les forces se répartissent-elles ?

La coalition internationale, menée par les Etats-Unis et à laquelle la France participe, n’a cessé de monter en puissance depuis 2014 et dispose d’une puissance de feu inégalée. Elle a des soldats dans des bases militaires au Kurdistan comme dans le reste de l’Irak. Mais cela reste assez opaque. Les pays engagés ne disent pas exactement combien de soldats sont déployés ni ce qu’ils font. La Turquie a également renforcé sa présence, avec environ 1 500 à 2 000 hommes. Les Turcs ont toujours eu beaucoup d’influence à Mossoul où ils avaient un consulat.
Et côté irakien ?

L’assaut sera mené par les troupes de l’unité d’élite du contre-terrorisme (CTS), un corps créé en 2003 sur le modèle des forces spéciales américaines. Elles fonctionnent elles aussi en totale opacité et sont contrôlées par le Premier ministre irakien et non par le ministère de la Défense. Elles sont en réalité quasi intégrées aux forces américaines qui les ont formées et armées. La bataille de Mossoul mobilise également l’armée irakienne, qui a du mal à trouver sa place entre les forces d’élite du CTS et la coalition. A ces forces régulières, il faut ajouter les peshmergas kurdes positionnés au nord de Mossoul, jusqu’aux monts Sinjar. Il y a enfin une constellation de milices, kurdes et sunnites, mais surtout chiites. Elles sont actives depuis 2014 et avaient alors bloqué la déferlante de l’EI dans la ceinture de Bagdad. Elles ont effectué un travail de nettoyage efficace mais redoutable et sanglant. Les sunnites, les Turcs et les pays arabes ne veulent pas qu’elles participent à la bataille. Les Etats-Unis sont plus ambigus. Ils ont reconnu leur «rôle clé» dans les combats contre l’Etat islamique.
Existe-t-il un début de stratégie politique permettant de gérer Mossoul, une fois que la ville sera libérée de l’EI ?

Absolument pas, c’est une impasse. Le gouvernement irakien n’a pas de plan pour le jour d’après, celui où Mossoul sera repris. Il ne sait pas quoi faire, hormis tenter de rétablir un statu quo ante. Il tentera de placer un gouverneur docile et de déléguer ce qu’il peut à des milices tribales et à ceux qui seront là. Au-delà de l’enjeu symbolique énorme de chasser l’EI d’Irak, Mossoul est un fardeau pour Bagdad qui est en quasi-faillite financière et assure à peine le versement des salaires des fonctionnaires. On peut craindre une situation inextricable, compte tenu de toutes les forces en présence. Le partage du butin et des rôles de chacun au lendemain du départ de l’EI peut donner lieu à une «guerre de tous contre tous» entre milices chiites, forces proturques, Kurdes, etc. Car derrière les rivalités communautaristes, il y a les convoitises des terres, du pétrole et des ressources en eau. Et puis, comment éviter les règlements de comptes au nom de la liquidation des collaborateurs de l’Etat islamique ?
Quels sont les risques humanitaires ?

Envisager de donner l’assaut à une ville de 1,5 million d’habitants ne pose de problèmes à personne, ni au sein de la coalition internationale ni côté irakien. Les préparatifs pour soi-disant parer la catastrophe humanitaire et l’afflux de réfugiés sont grotesques. Les moyens sont totalement insuffisants par rapport aux besoins. Comme si cela ne posait pas de problèmes de laisser mourir de faim 800 000 personnes au milieu du désert dans des camps sous des tentes. Alors, soit la coalition et le gouvernement irakien ne croient pas à cette bataille et pensent que cela va se régler autrement, soit il y a un total mépris des populations humaines. Je ne sais pas. Mais on est de toute façon dans une guerre totalement déshumanisée. On ne compte même pas les morts.
En quoi la ville de Mossoul est-elle différente des autres cités irakiennes ?

Cela tient à la singularité géographique, historique et humaine de Mossoul et de sa province de Ninive. On y trouve réunis tous les ingrédients de la grande «question d’Orient», comme les historiens désignent les rivalités dans la région au début du XXe siècle. Il s’agit d’une «société frontière» qui concentre des lignes de fracture ethniques, confessionnelles et sociologiques. Peuplée en grande majorité d’Arabes sunnites, toutes les minorités du Moyen-Orient y sont présentes : kurdes, turkmènes, chiites, chrétiens, yézidis, etc... Sous l’Empire ottoman, la wilaya de Mossoul marquait la frontière du sunnisme face aux chiites. Quand la Grande-Bretagne et la France se sont partagé la région en 1920, la ville a été disputée entre les deux puissances. Elle devait être rattachée à la Syrie et donc revenir sous mandat français mais les Britanniques ont tenu à la garder en raison du pétrole convoité dans sa région. Mossoul a été incorporé bien malgré lui à l’Etat irakien et a continué à regarder davantage vers Alep que vers Bagdad. Sa population a fortement adhéré par la suite au nationalisme arabe puis au baathisme mais avec une identité sunnite et un conservatisme religieux marqués.
Comment la ville avait-elle réagi à l’invasion américaine en 2003 ?

Mossoul a été surnommé alors «l’oie blanche»,tant le général américain David Petraeus a été bien accueilli. C’est quand les Etats-Unis ont confié la ville aux peshmergas kurdes qu’une insurrection arabe a été lancée par les anciens officiers de Saddam Hussein, rejoints par les premiers jihadistes arabes. Entre 2004 et 2014, des violences terribles se sont produites dans toute la province de Ninive. Mossoul est tombé aux mains de l’EI sans résistance ni réticence, en 2014. Sa population en mal d’ordre a bien accepté le système autoritaire et bureaucratique, proche des méthodes baathistes, imposé par les hommes de Al-Baghdadi.
Que deviendrait l’EI après Mossoul ?

Ses hommes pourraient se retirer dans un premier temps vers Raqqa, en Syrie, ou s’évaporer dans la région. Mais même une fois la formation pulvérisée, si les problèmes ne sont pas réglés, un nouvel avatar clandestin peut réapparaître, plus violent et plus vengeur.

Après Daech, comment sauver le Moyen-Orient ?

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Après Daech, comment sauver le Moyen-Orient ?
FIGAROVOX. - La bataille de Mossoul a commencé. Peut-on dire qu'il s'agit du début de la fin pour l'État islamique?
Renaud GIRARD. - Il s'agit du début de la fin pour l'État islamique en tant qu'État, de la fin de cette espèce de Sunnistan qui a essayé de vivre de manière indépendante. En revanche ce n'est pas la fin de l'organisation terroriste «État islamique». Il faut bien faire la différence. On a trop souvent dit que l'État islamique n'était pas un État. La BBC dit toujours «te so called Islamic State» («le soi-disant État Islamique»). Pourtant, Daech contrôle un territoire, qui, certes, se réduit. Il dispose d'une administration et de tribunaux, qui nous paraissent certes barbares. Il y a aussi une hiérarchie civile avec le Calife Abou Bakr al-Baghdadi et militaire avec les anciens généraux de l'armée de Saddam Hussein. Enfin, l'État islamique prélève l'impôt. Daech a donc bien les éléments constitutifs d'un État. L'État islamique va donc disparaître comme État, mais pas comme organisation terroriste. Sur le terrain militaire à Mossoul, à l'image de toutes les guerres asymétriques, les militants islamistes sont passés maîtres dans l'art de l'esquive. Ils ne vont pas avoir la sottise de se prêter à un combat frontal. Ils vont reculer, s'évaporer, laissant des milliers de pièges et de mines derrière eux. Ils vont donc préférer la dissimulation pour ressurgir ailleurs. On peut par exemple penser au désert libyen. De plus, la fin prochaine de Daech en tant qu'État contrôlant un territoire (ni même son éventuelle disparition en tant qu'organisation terroriste, ce qui n'est pas à l'ordre du jour) n'implique la fin des attentats islamistes en Occident. Il y a eu des attentats avant Daech, il y en aura après, ils seront juste commis sous le drapeau d'autres organisations.
Il y a encore près d'un million et demi de civils à Mossoul. Alors que les opinions occidentales se sont émues de la situation à Alep, à quoi peut-on s'attendre sur un plan humanitaire pour cette bataille urbaine qui s'engage?
Pour l'instant, la situation à Mossoul est très dure pour les civils, principalement parce que Daech enlève des habitants pour s'en servir comme boucliers humains. Les Américains et la coalition internationale arriveront-ils à Mossoul à un résultat plus rapide, plus efficace que l'Armée syrienne à Alep, laquelle obtient des résultats très mauvais et utilise la torture, l'emprisonnement politique à vaste échelle? Cela reste à voir. On ose imaginer que cela a été pensé et qu'on ne va pas rééditer les erreurs passées de l'Irak. La bonne idée serait de faire en sorte que ce soient les tribus sunnites qui, elles-mêmes, se débarrassent des djihadistes de Daech. Si ça fonctionne, ça serait un très grand succès. L'Histoire est imprévisible, attendons de voir.
La plupart des observateurs parlent de crimes de guerre à Alep. La Russie s'est empressée de faire savoir qu'elle constatait aussi des crimes de guerre à Mossoul. Qu'en pensez-vous?
Quand il y a une guerre, il y a toujours des crimes de guerre! La guerre n'est pas belle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Japonais en ont commis. Ils ont ensuite été sanctionnés lors du procès de Tokyo. Mais qu'en est-il du bombardement américain de Tokyo par bombes incendiaires en 1944 qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts civiles? N'était-ce pas aussi des crimes de guerre? Le bombardement aérien n'est pas nouveau, il n'a pas commencé à Alep. En 1944, quand les Américains veulent mettre pied sur le continent européen, la ville de Saint-Lô est entièrement rasée la nuit du 6 au 7 juin 1944 parce que les Américains pensaient qu'il y avait des Allemands dans la gare. Il se trouve qu'il n'y en avait pas… mais il aurait pu y en avoir. Pourtant, cela ne donne pas raison aux nazis pour autant! Croire que dans la guerre, il n'y a que des militaires qui meurent, c'est une vision naïve de l'histoire. Ceci a pu correspondre à certaines guerres pendant une période relativement courte de l'histoire, disons de la bataille de Fontenoy en 1744 - «Messieurs les Anglais, tirez les premiers» - jusqu'à la Guerre de 14. Mais dès la Première Guerre mondiale, il y a eu beaucoup de civils tués et des atrocités commises.
Ce qui est immoral, c'est la guerre! C'est pour ça que je combats dans mes écrits depuis trente ans le néoconservatisme et tous les acteurs politiques qui pensent, à la suite du sénateur Jackson aux États-Unis et dans une mauvaise interprétation du philosophe Leo Strauss, que leur idée de la justice, de la démocratie et des droits de l'Homme est plus importante que la paix et peut s'imposer par la force. En défenseur du réalisme politique, c'est-à-dire en Metternichien ou en Kissingerien, je pense que la paix est le bien le plus précieux.
Contrairement à ce que l'on pense parfois, la position réaliste n'a rien de cynique. Les réalistes ne sont pas des désabusés qui entre la paix et la démocratie choisiraient la paix. Au contraire, je pense que ce choix est illusoire, car il ne peut pas y avoir de démocratie s'il n'y a pas la paix. Comme la paix est la condition de la démocratie, vouloir imposer la démocratie par la force, comme le souhaitent les néoconservateurs, est un contresens. C'est ce que prouve l'exemple irakien: l'invasion de l'Irak a non seulement plongé le pays dans le chaos et nourri le terrorisme islamiste, mais en plus l'Irak n'a pas progressé d'un pouce vers la démocratie. Les Irakiens ont perdu la paix, mais n'ont pas gagné la liberté.
Quel est votre regard sur la situation à Alep?
La souffrance des populations civiles à Alep est intolérable. Si notre compassion était réelle, nous ne resterions pas là, les bras ballants, nous contentant d'une indignation médiatique de bon aloi. Nous passerions à l'action. Mais pour agir, il faut tenir compte des réalités, car, par définition, la réalité exerce un pouvoir de contrainte. Comme disait Lacan, «le réel, c'est quand on se cogne.» Or, ici, la réalité, c'est que des exactions sont commises des deux côtés et que nous ne pouvons pas intervenir militairement contre Bachar, ne serait-ce que parce qu'il est protégé par la Russie et que nous n'avons personne à mettre à sa place. Il faut donc prendre les réalités telles qu'elles sont et parler avec Bachar.
D'ailleurs, c'est le réalisme seul qui pourra sauver Alep. C'est justement parce que cette guerre est horrible qu'il faut parler avec Bachar. Bachar appartient à un clan qui est au pouvoir depuis 46 ans. Il est soutenu par les Russes et l'Iran, représente l'appareil d'État, est puissant militairement et a le soutien d'une partie importante de la population (toutes les minorités, mais aussi une partie des sunnites), c'est donc un acteur incontournable. Et, puisqu'on ne fait de la politique que sur des réalités il faut lui parler (comme il faut aussi parler aux rebelles salafistes), même si c'est désagréable. Si la guerre est si longue et sanglante, c'est parce que Bachar et les rebelles représentent tous deux l'une des faces de la société syrienne, qui est très polarisée: il n'y aura donc pas de sortie de crise si on refuse de parler aux rebelles ou à Bachar. Si on ne parle pas à Bachar, nous n'aurons jamais la paix et le bain de sang continuera. N'oublions pas qu'il a fallu parler aux Serbes pour faire les accords de Dayton et en finir avec la guerre de Bosnie. Si on avait parlé à Bachar et si on avait proposé/imposé une médiation, il n'y aurait pas aujourd'hui le massacre d'Alep. En rompant avec lui, nous nous sommes donc privés de tout moyen de négociation avec lui, ce qui l'a incité à durcir sa répression. Nous avons donc une part de responsabilité dans les massacres par notre refus de parler à Bachar. La vraie morale (qui est d'aider les habitants d'Alep) se moque de nos indignations.
Si notre compassion pour Alep est sincère, alors nous devons surmonter notre répugnance instinctive (et légitime) et accepter de parler avec Bachar pour sauver ce qui peut encore l'être.
Pour Alep, je propose la solution suivante: ne pas attendre un grand règlement global de la question syrienne, mais conclure une paix locale. Pour cela, les rebelles doivent déposer les armes et en appeler à l'ONU, aux États-Unis, à la Russie (qui, en tant que soutien de Damas, peut contrôler le régime syrien) et à la Turquie (qui est le protecteur des rebelles) pour garantir leur sécurité et s'assurer que le régime syrien ne commettra pas d'exactions contre eux.
Ne faudrait-il pas en plus venir en aide aux rebelles à Alep?
Non. À Alep, il y a deux catégories de gens: les rebelles et les civils, qui sont utilisés comme boucliers par les rebelles. Ce sont les civils qu'il faut aider (par la diplomatie et l'action humanitaire), pas les rebelles. Les rebelles sont des militants islamistes, qui se livrent à de nombreuses exactions.
Méditons les leçons du passé. Ne commettons pas la même erreur qu'en Afghanistan où pour lutter contre les Soviétiques, nous avons nourri un serpent dans notre sein en soutenant Ben Laden ou le fanatique Gulbuddin Hekmatyar (responsable de la mort de 10 soldats français en 2008). Ne commettons pas la même erreur qu'en Irak où le renversement d'un dictateur laïc et inoffensif pour l'Occident a déstabilisé toute la région et mené au chaos, à la persécution des chrétiens et à Daech.
N'oublions pas que, comme le décrivait déjà Michel Seurat, Alep est une ville où l'implantation islamiste est très ancienne. En 1973, Hafez el-Assad propose une constitution laïque, mais des émeutes islamistes éclatent à Hama, Oms et surtout à Alep (qui est la deuxième ville du pays, le poumon économique). Il accepte de faire une concession en faisant inscrire dans la Constitution que le Président doit être musulman.
Le principal groupe rebelle à Alep est le Front Al-Nosra, branche syrienne d'Al Qaeda. Pour des raisons médiatiques. En reprenant le nom antique de «Cham» pour désigner la Syrie, il montre son mépris pour la réalité nationale moderne de la Syrie. Or, ce groupe a commis de nombreuses exactions. Le 9 septembre 2013, la ville historique chrétienne de Maaloula, au nord de Damas, est attaquée par le front Al-Nosra. Dans la ville, les djihadistes saccagent alors les églises, occupent les monastères et tuent au moins 20 civils et en enlèvent 15 autres. Le 11 décembre 2013, Al-Nosra a infiltré la ville industrielle d'Adra (au nord-est de Damas): au moins 32 civils alaouites, chrétiens, druzes et ismaélites ont été massacrés. Certaines personnes ont été décapitées.
À cause de son idéologie et de ces exactions, Al-Nosra n'a pas bonne presse auprès de l'opinion syrienne. D'après un sondage mené en juillet 2015 en Syrie par l'institut international ORB, 63% des Syriens ont une mauvaise image d'Al-Nosra (22 plutôt négative et 41 très négative). En mars 2016, des centaines d'habitants sunnites de la ville de Ma'arrat al-Numan (nord-ouest) ont manifesté dans les rues, au péril de leur vie, pour demander le départ du Front al-Nosra.
À Alep, il reste encore beaucoup de civils. Pourquoi les rebelles n'ont-ils pas pris le contrôle de toute la ville? Parce que beaucoup d'habitants d'Alep leur sont hostiles. La principale division entre rebelles et factions progouvernementales n'est pas fondée sur une opposition confessionnelle, car tout le monde est sunnite - à l'exception de la minorité chrétienne, favorable au régime - mais principalement sur des divisions sociales et sur un clivage historique et géographique entre les populations qui sont urbaines depuis longtemps (à l'ouest), qui forment les classes commerçantes et qui sont hostiles à Al-Nosra et les populations d'origine rurale, plus pauvres et beaucoup plus islamistes (à l'est).
Si les rebelles gagnaient, il y aurait de grands massacres à Alep et ils formeraient un émirat islamique, à la fois imitation et rival de Daech, d'où des attentats seraient lancés contre Israël et contre l'Occident (notamment pour pouvoir rivaliser médiatiquement avec les attentats de Daech). Souvenons-nous que les attentats du 11 septembre 2001 (les plus meurtriers de l'histoire du terrorisme), ceux de Madrid en 2004, ceux de Londres en 2005 et ceux de Charlie Hebdo (les frères Kouachi se revendiquant de Al-Qaeda dans la Péninsule Arabique) sont l'œuvre d'Al-Qaeda. De même que l'assassinat du consul américain en Libye en septembre 2012. Souvenons-nous aussi que Merah se réclamait d'Al Qaeda. D'ailleurs, juste après les attentats de novembre 2015 à Paris, Al-Nosra, bien que rivale de Daech, a émis un communiqué pour dire qu'elle approuvait les attentats et félicitait Daech. En outre, il serait vraiment étrange de combattre Al-Qaeda au Mali comme nous le faisons, en engageant pour cela la vie de nos soldats et l'argent du contribuable, et en même temps de soutenir Al-Qaeda en Syrie.
On ne saurait donc mettre Bachar et Al-Nosra sur le même plan, car Al-Nosra est allergique à la liberté religieuse, dont Bachar est le garant. De plus, Al-Nosra, qu'Assad combat à Alep, appartient à une organisation (Al-Qaeda) qui, comme Daech, commet des attentats contre nous, tue nos enfants dans nos rues, ce que ne fait absolument pas Bachar. Souvenons de l'histoire. Staline était un dictateur sanguinaire, mais la France a fait une grave erreur en refusant de nous allier avec lui en en 1935. Heureusement que les Alliés l'ont soutenu à partir de 1941, sinon le nazisme aurait triomphé. La différence entre Hitler et Staline est que Staline ne voulait pas attaquer la France et n'était donc pas notre ennemi principal. Aujourd'hui, c'est le djihadisme sunnite qui est notre ennemi principal. Pas Bachar.
Pour autant, je ne pense pas que les puissances occidentales doivent renoncer aux opérations militaires. Seulement, elles doivent selon moi respecter trois conditions avant toute intervention. En plus de l'indispensable respect du droit international, elles doivent s'assurer qu'elles ont un interlocuteur crédible pour remplacer le dirigeant qu'elles vont renverser, que l'intervention va améliorer le sort concret des populations locales et que cette intervention, très coûteuse et payée par le contribuable, servira aussi leurs propres intérêts. Or, aucune de ces conditions ne serait respectée par une attaque contre Bachar. Le veto russe à l'ONU nous mettrait en violation du droit international. Nous n'avons personne à mettre à la place de Bachar. Son renversement plongerait encore un peu plus la Syrie dans le chaos. Et cette intervention, non seulement ne nous rapporterait rien, mais en plus nous mettrions en danger en renforçant nos ennemis islamistes. Dans ce contexte, il faut donc préférer la diplomatie à la guerre.
Qu'en est-il de la situation des civils dans les guerres modernes?
Dans les guerres contemporaines, asymétriques, ce sont les civils qui meurent. Lorsque les Américains ont pris l'Irak ou lorsqu'ils ont fait la guerre en Afghanistan, ils ont bombardé massivement des rassemblements de population. Il y a eu beaucoup de bavures. Il se trouve que j'ai couvert ces deux conflits. En Afghanistan il y a eu le bombardement d'un mariage. 140 civils sont morts. Pourquoi ces bombardements? Parce que l'armée américaine avait décidé d'aider le gouvernement afghan de Hamid Karzai à reconquérir le territoire afghan contre des militants islamistes. Aujourd'hui, de la même façon, la Russie a décidé de prêter main-forte au régime de Bachar al-Assad pour l'aider à contrôler son territoire contre des rebelles islamistes. Les Occidentaux n'ont donc aucune leçon à donner. Il y a eu deux phases dans l'intervention russe. D'abord en septembre 2015 la phase de sauvetage du régime parce que Damas allait tomber. Il faut bien comprendre que si ça avait été le cas, on aurait eu un génocide des alaouites et des druzes et, avec de la chance, tous les Chrétiens auraient été expulsés vers le Liban et toutes les églises de Damas brûlées (voire purement et simplement massacrés). Un fait est révélateur des projets des rebelles. Le Front Al-Nosra a baptisé son opération de conquête d'Alep «Opération Ibrahim Youssef», en hommage au terroriste Ibrahim Youssef qui a massacré 83 cadets alaouites dans l'école militaire d'artillerie d'Alep en 1979. Ensuite, dans un second temps, les Russes - et l'on peut bien sûr critiquer cette option - ont décidé d'appuyer la tentative de Bachar al-Assad de reconquérir par la force le territoire perdu aux mains des rebelles. La façon dont l'Armée syrienne (dont les officiers ont été formés par les Soviétiques) reprend ou tente de reprendre Alep ressemble à celle des Russes quand ils ont repris Grozny en Tchétchénie avec des bombardements considérables sur la ville. Les Russes ne connaissent pas et ne maîtrisent pas vraiment les frappes dites chirurgicales. Finalement, c'est déjà la manière dont les Soviétiques ont pris Berlin en 1945.
La Turquie a annoncé qu'elle pourrait intervenir dans la bataille de Mossoul. Après l'opération turque «Bouclier de l'Euphrate» en Syrie, peut-on s'attendre à une opération «Bouclier du Tigre» en Irak?
La Turquie considère comme un atout - et c'en est un! - le fait que son armée est sunnite. C'est aussi une très bonne armée qui n'est pas si loin de la zone du conflit. Il y a un néanmoins un problème majeur. Erdogan a choisi une ligne politique néo-ottomane. Il considère que les anciennes provinces ottomanes sont les vassaux de la Turquie. On se demande si, sous le prétexte de combattre l'Etat islamique, qu'ils ont longtemps aidé, armé et financé avant que Frankenstein ne se retourne contre eux, et les Kurdes du PKK, qui sont toujours leur première priorité, les Turcs ne veulent pas en profiter pour étendre leur domination régionale de sorte à créer une sorte d'Empire turc. Ceci risque d'être très compliqué car il y a un gouvernement irakien qui est soutenu par la France, les USA, la Russie, l'Iran, la Chine, bref par la communauté internationale. Bagdad a déjà prévenu les Turcs: vous n'êtes pas les bienvenus! Maintenant, il est évident diplomatiquement que la lutte contre l'Etat islamique ne se fera pas contre la Turquie, mais avec elle.
En Irak, les populations sunnites ont-elles raison de craindre des représailles chiites?
La guerre d'invasion anglo-saxonne de 2003 en Irak a provoqué une guerre civile entre les chiites et les sunnites, qui n'existait pas avant. Rappelons que la Première guerre du Golfe a eu lieu entre l'Irak et l'Iran de 1980 à 1998. Les soldats de l'Armée irakienne, majoritairement chiites, se sont battus contre les chiites iraniens. C'est donc un phénomène récent qui a été engendré par les secousses de la guerre d'Irak de 2003.
En géopolitique, le ressenti des populations est plus important que la réalité vue de loin. Après l'invasion américaine, les chiites furent mis au pouvoir par les Américains. Depuis les populations sunnites témoignent d'une très grande méfiance envers eux. C'est la raison pour laquelle de nombreuses tribus sunnites se sont ralliées à l'Etat islamique qui, de leur point de vue, les protégeait contre un Etat qu'elles considéraient comme persécuteur et ce, même si cette persécution n'était pas toujours flagrante. Aujourd'hui, il y a un réel effort de l'Armée irakienne pour mettre sur pied des unités sunnites. Il a été dit d'ailleurs que les unités qui rentreront à Mossoul ne seraient ni chiites, ni kurdes, mais seront des arabes sunnites.
Prenez Bagdad, les quartiers de la capitale se sont transformés en zones ethniquement pures. Il va falloir beaucoup de finesse pour apaiser ces tensions communautaires. Il y a eu dans le passé des représailles chiites, mais je pense que là, tout est en place pour éviter de telles exactions. C'est d'ailleurs une guerre qui se fait au milieu de centaines d'observateurs. Il y a notamment beaucoup de journalistes. Massacrer des civils ne serait pas si facile.
Vous parliez des velléités néo-ottomanes de la Turquie. Est-ce qu'il n'y a pas aussi des velléités néo-perses de l'Iran?
Sans le vouloir, les Américains ont donné l'Irak aux Iraniens. Pour Téhéran, c'était une surprise providentielle. On peut dire que l'ambassadeur d'Iran à Bagdad est au moins aussi important que son homologue américain. Cependant, il y a des différences idéologiques et religieuses. Les chiites irakiens respectent un marjah. C'est l'ayatollah Ali al-Sistani et non les ayatollahs d'Iran. L'ayatollah Sistani condamne le système politique iranien du Velayat-e Faghih, c'est-à-dire le «gouvernement des clercs». A Téhéran, le gouvernement doit appartenir à ceux qui sont savants en religion. C'est pour ça que c'est un religieux, le Guide suprême, qui est tout en haut du système politique iranien. Les chiites irakiens, tout proches qu'ils soient des Iraniens, n'ont pas installé chez eux un Velayat-e Faghih. De plus, l'Irak est arabe alors que l'Iran est perse et au moins 20% de la population est sunnite (à quoi il faut ajouter 15% de Kurdes, très majoritairement sunnites). L'Iran entretient des relations extrêmement étroites avec l'Irak, mais ça n'en fait pas une colonie iranienne.
François Hollande a déclaré qu'il fallait penser à l'après-Mossoul. Sur les ruines de l'État islamique, pourrait-on reconstruire un État unitaire irakien ou s'achemine-t-on vers une généralisation du modèle fédéral, notamment à l'égard des sunnites, sur le principe du Kurdistan irakien d'Erbil largement autonome de Bagdad?
Comme le disait le Général de Gaulle, il faut prendre les réalités telles qu'elles sont. On ne reviendra pas sur l'autonomie du Kurdistan irakien inscrite dans la Constitution irakienne de 2003. Au-delà du cas kurde, personne ne veut un redécoupage des États. On s'aperçoit que cela fonctionne mal. On a essayé sous la pression des Américains au début des années 2000 en Afrique. On a créé de toutes pièces un État qui s'appelle le Sud-Soudan. C'est très chaotique. Il y a une guerre entre les deux principales tribus qui a fait déjà plus de 50 000 morts. Personne ne veut donc casser la carte du Moyen-Orient. Il va falloir constituer des provinces autonomes. La province sunnite, qui n'aura peut-être pas autant d'autonomie que la province kurde, aura pour capitale Mossoul avec ses propres milices sunnites pour maintenir l'ordre et combattre les djihadistes. Il y aura aussi une grande province chiite qui montera quasiment jusqu'à Bagdad. La capitale Bagdad deviendra une sorte de Bruxelles, d'Islamabad ou de Washington, une zone où Sunnites, Chiites et Kurdes vivront ensemble, mais de façon séparée.
À Alep en Syrie, la trêve humanitaire n'a pas tenu plus de trois jours. Quelles conséquences pourrait avoir une reprise d'Alep pour le régime de Bachar al-Assad?
Si l'Armée syrienne avance à Alep depuis son offensive du 22 septembre, c'est que 5000 combattants rebelles ont quitté Alep pour aller se battre avec l'Armée turque dans l'opération «Bouclier de l'Euphrate» contre l'Etat islamique et les Kurdes à la frontière avec la Turquie et la Syrie. C'est ce qui a permis à l'Armée syrienne d'avancer car elle ne s'est pas montrée extrêmement brillante sur le terrain. Elle a besoin des Russes, du Hezbollah libanais, des milices chiites et des forces spéciales iraniennes. Si Bachar arrive à récupérer Alep, ce sera un symbole très fort. Alep était la capitale économique, je le dis à l'imparfait car les industries sont dévastées. Dans cette hypothèse, Bachar al-Assad tiendra la frontière avec le Liban, tiendra bien Damas, tiendra le littoral alaouite (Lattaquié, Tartous) et tiendra enfin Alep.
Pourrait-il aller au-delà pour reconquérir l'ensemble de la Syrie?
Je ne le pense pas. D'abord parce que les Russes n'ont pas les mêmes intérêts que Damas: les Russes demeurent sensibles et écoutent leurs interlocuteurs occidentaux. Les discussions au format Normandie ont été houleuses à Berlin mais elles ont eu lieu. Après avoir parlé de la crise ukrainienne et une fois que le président Petro Porochenko est parti, Vladimir Poutine s'est retrouvé avec Angela Merkel et François Hollande. C'est dans ce cadre que les Russes ont décidé de s'abstenir de bombarder Alep pendant une semaine. Je ne suis donc pas sûr que les Russes, une fois qu'ils auront sauvé la Syrie utile et les Chrétiens, souhaitent s'engager plus avant. Quant à Bachar al-Assad, comme je vous le disais, son armée est assez faible. Depuis le début du conflit, elle compte déjà 80 000 morts, la plupart alaouites. Le régime de Damas ne pourra militairement ni reconquérir les zones kurdes - les forces combattantes YPG du parti kurde PYD ont montré qu'ils savaient très bien se battre -, ni reprendre la région d'Idleb où les rebelles sont soutenus par les Turcs, ni s'étendre dans le désert sunnite. Surtout, il va y avoir un phénomène de lassitude du Hezbollah qui a perdu beaucoup d'hommes et qui est très critiqué sur ce point au Liban. La solution pour la Syrie est donc la même que pour l'Irak, c'est-à-dire des zones autonomes kurde, sunnite et alaouite, la zone alaouite rassemblant par ailleurs la plupart des minorités et une partie de la bourgeoisie sunnite, proche du parti Baas de Bachar al-Assad.
On parle moins dans la presse aujourd'hui de l'emprise des pays du Golfe, notamment de l'Arabie Saoudite, en Syrie ou en Irak. Sont-ce les perdants provisoires de cette nouvelle donne?
L'Arabie Saoudite est triplement affaiblie. D'abord par la baisse du prix du pétrole. Ensuite par son échec patent au Yémen: on voit que son instrument militaire est extrêmement faible. Riyad n'est pas capable de faire face aux rebelles houthistes qui représentent au Yémen un certain type de chiisme. Enfin par le fait que les Occidentaux commencent à se rendre compte que l'Arabie Saoudite est la matrice des mouvements djihadistes. En 1979, après l'attaque de La Mecque, il y a eu un pacte secret qui a été établi. Les dirigeants du pays ont expliqué à leur jeunesse islamiste: vous faites ce que vous voulez à l'étranger, vous pouvez lever tous les fonds privés que vous voulez, mais vous ne remettez pas en cause la dynastie des Saoud. Ce pacte très dangereux a eu les conséquences que l'on connaît sur le développement mondial du djihadisme et il est aujourd'hui très affaibli, ce qui explique le risque d'instabilité interne en Arabie Saoudite. Il en va de même du pacte du Quincy, qui porte le nom du croiseur américain où il a été scellé en février 1945 entre Franklin Roosevelt et le roi Ibn Saoud et qui a été renouvelé par George W. Bush en 2005.
Quand ce pacte entre Washington et Riyad a été scellé en 1945, l'Iran était un allié des Etats-Unis. La politique américaine était alors sur deux jambes au Moyen-Orient. À partir de la révolution iranienne en 1979, les Américains ont perdu Téhéran. Cela n'a-t-il pas produit un grand déséquilibre?
Effectivement, le fait que les Américains aient perdu l'Iran en 1979 a bouleversé leur équilibre au Moyen-Orient. Il faut dire d'ailleurs qu'ils n'ont pas fait preuve d'un grand sang-froid… Quand le Shah est tombé, Washington a choisi de prendre des demi-mesures, ce qui n'est jamais bon en géopolitique. Soit ils choisissaient la manière forte, renversaient le Schah comme ils avaient renversé Mohammad Mossadegh en 1953 et mettaient un militaire à la place pour maintenir un régime pro-américain. Soit, à l'inverse, ils acceptaient la révolution islamique. On aurait pu penser que Washington allait peu à peu renouer ses relations diplomatiques avec l'Iran au cours des années 1990. Ça n'a pas été le cas par une sorte d'obstination et de rigidité intellectuelles dans la pensée géopolitique américaine. De ce point de vue là, même si c'est arrivé trop tard, l'Iran (et Cuba) sont les grands succès de Barack Obama.
Comme vous le dîtes, une politique américaine sensée doit effectivement reposer sur deux jambes, la jambe sunnite d'une part et la jambe chiite d'autre part. Mais on pourrait même dire qu'elle devrait reposer sur plus de deux jambes car l'Egypte devrait être plus importante que l'Arabie Saoudite. L'université Al-Azhar devrait compter davantage que les cheiks wahhabites! Or, aujourd'hui, l'Arabie Saoudite est aussi affaiblie parce que, aux Etats-Unis, l'opinion commence à se poser des questions… On n'a pas pu résister aux demandes d'enquête sur les responsabilités de l'Etat saoudien dans le 11 septembre. Et ce n'est qu'au début.
Au-delà du cas saoudien, les Etats du Golfe sont affaiblis au Moyen-Orient?
Il y a des divisions fortes entre eux. Les Etats du Golfe sont unis quand il s'agit d'intervenir contre des adversaires non-sunnites comme au Yémen ou au Bahreïn. C'est d'ailleurs assez ironique de voir Al-Jazzera donner des leçons de morale pour la Syrie et oublier ce qui s'est passé au Bahreïn. Dans ce petit Etat, il y avait une majorité chiite qui voulait une monarchie constitutionnelle promise par le Royaume-Uni après son retrait en 1971. L'Arabie saoudite a envoyé les chars... Mais, sur d'autres plans, les Etats du Golfe ne sont pas unies. Ainsi, le Qatar soutient les frères musulmans. En revanche, les Emirats Arabes Unies, qui sont un allié de la France, sont farouchement opposés aux frères musulmans et plus largement à l'islam politique. Les EAU sont d'autant plus intéressants qu'ils ont réussi économiquement à l'image de Dubaï ou d'Abou Dhabi. Avant la guerre, c'était Beyrouth qui était la capitale financière du Moyen-Orient, aujourd'hui, c'est Dubaï qui n'est pas fondé sur l'argent du pétrole, mais sur celui du commerce.
Les Américains ont-ils perdu la main au Levant?
Que les Américains aient perdu la main au Levant, c'est évident. Il suffit d'une rapide comparaison historique pour s'en rendre compte. En 1991, après avoir libéré le Koweït, les Américains étaient la référence. Véritable hyperpuissance, ils ont habilement gagné la guerre contre l'Irak en s'alliant par exemple avec la Syrie d'Hafez al-Assad à laquelle ils ont donné le Liban en vassalité à la conférence de Taëf en octobre 1989. On a tendance à l'oublier mais le moralisme n'a pas toujours imprégné la classe politique américaine… Aujourd'hui, ils n'ont plus la main en Syrie, au Liban, en Irak, en Turquie ou en Egypte. Il leur reste la Jordanie. Quant à la Libye, qui a la main? On ne le sait pas encore, mais certainement pas Washington. Les Etats-Unis sont incapables d'empêcher le retour en fanfare de la Russie dans la région. Mais le souhaitent-ils vraiment? Washington s'en porte assez bien depuis qu'Obama a décidé qu'il allait «rule from behind» (gérer depuis l'arrière) les affaires du Moyen-Orient.
Où est passée la voix de la France? A-t-elle définitivement disparu?
La France a malheureusement complètement disparu du Moyen-Orient alors qu'elle avait un rôle très important à jouer. Nous ne sommes même plus invités aux grandes conférences sur la Syrie alors que nous sommes l'ancienne puissance mandataire. Notre pays a commis l'erreur de devenir le caniche des Etats-Unis sans s'apercevoir qu'un caniche ne sert à rien. Bien sûr, je suis favorable à l'alliance avec les Etats-Unis, mais être allié ne signifie pas aligné. En Syrie, entre le défilé de Bachar al-Assad en 2008 et aujourd'hui, nous avons eu une diplomatie en zigzag. La diplomatie se joue d'abord à moyen et long terme. Elle ne peut pas être fondée sur les émotions, mais doit l'être sur le calcul de nos propres intérêts nationaux. Nous avions en Syrie et en Iran l'opportunité de jouer le rôle d'honest broker (= «intermédiaire honnête») entre ces deux pays et les Etats-Unis. Nous avons renoncé à jouer ce rôle historique pour lequel notre tradition d'indépendance nous donnait l'avantage. Si nous sommes un allié exigeant de Washington, Washington nous respectera.
Deux axes doivent structurer notre politique moyen-orientale: d'une part, la lutte contre le terrorisme islamiste (et cette lutte doit se faire aussi sur notre sol!). D'autre part, une politique de médiations. La France n'apparait plus comme une puissance prédatrice au Moyen-Orient. Mais sa voix compte encore, notamment à cause de la politique arabe des Présidents de Gaulle et Pompidou puis de son opposition à la Guerre en Irak en 2003. Elle est alliée aux monarchies sunnites du Golfe, mais est respectée par l'Iran. Elle parle à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens. Notre pays pourrait proposer quatre grandes médiations pour favoriser une détente globale dans la région: une médiation pour la Syrie, une médiation pour réconcilier l'Iran chiite et les pétromonarchies sunnites, une médiation Israël/Palestine et une médiation Israël/Iran. C'est seulement avec une politique réaliste que nous pourrons retrouver notre influence au Moyen-Orient.

Le jihadisme, une nouvelle religion de la terreur

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Grâce à trois vidéos didactiques, l’historien Jean-Pierre Filiu explique ce qu'est le jihad. En remontant à ses sources, étymologiques et coraniques, il parvient à en dresser un tableau exhaustif, depuis l’époque où il devint un outil de lutte anti-coloniale jusqu’au jihad global d'aujourd'hui, la nouvelle religion de la terreur voulue par Daech. Entretien et vidéo

Quel est le sens du mot jihad ?

Le terme « jihad » n’a pas en soi de connotation religieuse. Il signifie littéralement «l’effort déterminé » en vue d’atteindre un but et il est dérivé de la racine j-h-d,  qui en arabe renvoie à l’effort. « Jihad » peut aussi être un prénom qui, sans être fréquent, est porté par des Chrétiens dans le monde arabe. Le mot « jihad » et ceux qui lui sont apparentés (comme moudjahidines, « ceux qui font le jihad ») apparaissent une trentaine de fois dans le Coran. Il s’agit alors de «l’effort déterminé » du ou des fidèles pour se conformer à l’Islam. Et même en ce cas, ce jihad est cité une dizaine de fois dans un sens militaire, une dizaine de fois dans un sens civil et une dizaine de fois dans les deux sens. Ainsi le jihad n’est-il pas toujours religieux et, quand il l’est, il n’est pas toujours armé. L’Organisation de la coopération islamique (OCI) a ainsi lancé des « jihads », c’est à dire des « campagnes », contre l’analphabétisme, la pauvreté ou le SIDA.

Le jihad n’est pas ce que l’on croit, c’est-à-dire, une “guerre sainte”?

Il y a cinq « piliers » dans l’Islam, soit cinq obligations canoniques qui sont la profession de foi, la prière, le jeûne du Ramadan, le pèlerinage à la Mecque et la charité, dite zakat. Le jihad n’est donc pas une « guerre sainte » et on ne le répétera jamais assez. Une citation attribuée à Mohammed distingue en outre le « petit jihad », de type militaire, du « grand jihad », d’ordre spirituel. Les grands mystiques de l’Islam se sont tous réclamés de ce « grand jihad », plus noble et ardu que l’action armée. Pour faire simple, le Moyen-Age musulman a vu la formalisation juridique de deux catégories de jihad militaire, le « jihad offensif », ordonné par le calife ou ses représentants, et le « jihad défensif », en cas de menace sur des populations musulmanes.

Vous rapprochez le jihad de la notion de territoire. Il devient ainsi une lutte de résistance de nature anti-coloniale…

Il est exact que les deux catégories de jihad militaire renvoient à un territoire, à conquérir dans le cas du « jihad offensif », à protéger dans le cas du « jihad défensif ». Les dernières campagnes de « jihad offensif » ont été menées au XVIIIème siècle par l’Empire ottoman en Europe et par l’Empire moghol en Inde méridionale. Le recul de l’Empire ottoman, face à la France en Afrique du Nord, face à la Russie dans le Caucase, livre des populations entières à l’expansion coloniale, contre laquelle des leaders locaux et charismatiques proclament un « jihad » de résistance. L’historien que je suis peut dérouler cette chronologie de « jihad » anti-colonial depuis Abdelkader en Algérie, de 1832 à 1847, jusqu’à la lutte afghane contre l’occupation soviétique, de 1979 à 1989. Même le très occidentalisé Habib Bourguiba arborait en arabe le surnom de « Plus grand des moudjahidines », traduit en français par « Combattant suprême ».

Quel est le rôle d’Al-Qaïda dans cette lutte ?

Al-Qaïda va se développer comme organisation parasite du jihad afghan de libération et inventer, au sens propre, une nouvelle forme de « jihad » : le « jihad global ». Ce jihad mondialisé rompt les liens tissés, durant treize siècles de pratique et de doctrine de l’Islam, avec un territoire ou une population. C’est un jihad nomade, internationalisé et transfrontalier, qui s’efforce de tirer parti de différentes luttes locales pour son propre projet, à la fois planétaire et révolutionnaire. L’objectif est d’établir une « base »,  c’est la signification arabe de « Qaïda », où que ce soit dans le monde musulman et, à partir de là, de l’étendre progressivement. A cette invention du « jihad global » s’ajoute, à mon sens, l’invention d’une nouvelle religion, le « jihadisme », qui place le jihad au cœur de sa foi et de sa pratique. Les jihadistes accusent dès lors les Musulmans qui les rejettent d’être des « apostats », passibles de mort. D’où cette orgie de violence de la secte jihadiste et le fait que les Musulmans paient le plus lourd tribut à cette terreur.

Comment alors expliquer l’expansion de Daech?

L’administration de George W. Bush bénéficie, après le 11-Septembre, d’un soutien international sans faille dans sa lutte contre Al-Qaïda. Mais, au lieu d’en finir avec Ben Laden et ses derniers partisans, Washington lance une « guerre globale contre la terreur » qui va relancer le « jihad global ». La désastreuse invasion de l’Irak, en 2003, ouvre aux jihadistes les portes du Moyen-Orient. Al-Qaïda attire alors les anciens officiers de Saddam Hussein et du régime déchu du Baas. Cette alliance de deux totalitarismes, le « jihadiste » et le « baasiste », entraîne la branche irakienne d’Al-Qaïda vers de nouveaux sommets de violence. Elle est par ailleurs soutenue par le régime de Bachar al-Assad, qui voit dans l’insurrection jihadiste un moyen d’enliser l’armée américaine en Irak et de la détourner de la Syrie. Un « Etat islamique » est proclamé en Irak dès 2006 et le régime Assad, confronté à un soulèvement sans précédent en 2011, joue la politique du pire en favorisant les jihadistes sur son propre sol. Cet « Etat islamique en Irak et en Syrie » est désigné depuis 2013 sous son acronyme arabe de Daech.

Pourquoi l’Europe est-elle devenue aujourd’hui une zone de conflit ?

Daech lance ce que j’appelle sa « campagne d’Europe » en mai 2014, avec l’attentat contre le musée juif de Bruxelles. L’objectif premier est de susciter des troubles intercommunautaires, voire de générer une dynamique de guerre civile, afin de prendre en otages les Musulmans d’Europe et d’accentuer les « montées » au jihad en Syrie. Daech a en effet un besoin important de recrues européennes pour quadriller les territoires sous son contrôle en Syrie, car l’organisation y est perçue comme une force d’occupation, à la différence de l’Irak voisin, marqué par l’expérience de la guérilla anti-américaine. La fin de l’été 2016 a heureusement vu la fermeture du corridor qui, entre la Syrie et la Turquie, permettait les déplacements des jihadistes européens. Mais, outre les cellules dormantes, déjà implantées, les recruteurs de Daech continuent d’activer en Europe, notamment par Telegram (l’application de messagerie sécurisée utilisée par les Jihadistes, ndlr -), les convertis à la secte jihadiste, qu’ils soient ou non d’origine musulmane. J’insiste, ce sont tous des « convertis » à cette nouvelle religion du jihad pour le jihad, dont je me suis efforcé de décrire l’apparition très récente.

La réponse de Bayrou au tartour Sarkozy


Après les attaques et insultes, ma réponse à Nicolas Sarkozy 


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Un affrontement fondateur

On ne peut qu’être frappé par l’obsession Bayrou qui chez Nicolas Sarkozy, alors qu’il est en perdition devant Alain Juppé dans les sondages, a envahi tous les discours et toutes les émissions, et les tribunes signées de ses séides rameutés. 
Des heures de diatribes, culminant à Marseille en ce cri enfin arraché à la foule et rapporté par une journaliste présente : « Bayrou saloperie ! ».
À cette obsession, d’abord, on a peine à croire, on s’interroge sur la stratégie : comment une force qui se croit si considérable se sent-elle menacée à ce point par ce qu’elle prétend mépriser ? N’y aurait-il pas là en réalité un dangereux et révélateur aveu de faiblesse ? Et puis l’on réfléchit, et l’on se dit que si la question a pris une telle importance, c’est qu’elle doit couvrir un affrontement fondateur, une confrontation essentielle qui appelle à trancher d’une ligne politique et de l’avenir d’un pays.
On doit donc entrer dans le fond de cet affrontement, car il est porteur de sens. On doit le faire sérieusement car c’est un affrontement sérieux, et sans ire superflue : en démocratie, il n’est pas besoin de se haïr pour se combattre.
J’appartiens aux trois millions de Français qui n’étaient pas de gauche et qui ont voté contre le renouvellement du mandat de Nicolas Sarkozy. Mon vote a eu un écho, un retentissement que j’assume. En 2007, j’avais voté blanc. Mais l’exercice des cinq années de mandat et la conduite de la campagne de 2012 m’ont convaincu, comme ces millions de compatriotes, qu’une réélection du président sortant ouvrirait la porte à des dérives encore accentuées et que nous ne voulions pas voir. 
Et ce n’est pas parce que le quinquennat suivant a été porteur de tant de faiblesse et de tant d’errances que cela efface les raisons de notre choix.
Nous n’avons rien oublié de la gravité des raisons qui nous ont convaincus à l’époque : les atteintes graves et répétées aux principes de notre vie en commun, les abus de pouvoir et l’orientation de la campagne entièrement conduite pour opposer les Français entre eux. Ces raisons étaient impérieuses. Elles reposaient toutes non pas sur des a priori, mais sur des faits indiscutables et désormais prouvés. Elles faisaient craindre pour l’intégrité de notre pays, pour l’image de nos institutions, pour notre démocratie. Elles étaient fondées : qui sait où nous en serions arrivés si une réélection-surprise avait livré le pays à l’ivresse d’un succès construit sur tant de dérives ?
Ce qu’il y a de fascinant aujourd’hui, c’est que ces traits de caractère, ces pratiques, tous les concurrents de la primaire les dénoncent aujourd’hui, peu ou prou, chacun à leur manière, mais à l’unisson, eux qui ont vu de près l’ambiance et la manière de ces cinq années de pouvoir. Ce qui devrait faire réfléchir y compris les esprits partisans.
Mais l’affrontement ne porte pas sur le passé seulement, ce serait trop simple. En ce qu’il porte sur l’avenir, il est encore plus grave et plus profond. Comment quelqu’un qui a été président de la République et qui aspire à le redevenir peut-il se comporter de la sorte ? Comment peut-il en arriver à cette violence de chaque minute, lâchant des insultes avec un mépris affiché, crachant sur ceux qui ne votent pas pour lui, n’hésitant pas à leur enjoindre sans crainte du ridicule de « se taire », n’hésitant pas en un moment où la sécurité est menacée et la police déstabilisée à qualifier Bernard Cazeneuve de « ce qui nous sert de ministre de l’intérieur » ?
J’essaie de comprendre ce qui sous-tend ce mépris, cette violence, cette perpétuelle exagération de caricature et j’y découvre des différences de conception qu’il convient d’assumer.
C’est de la démocratie d’abord qu’il est question dans cet affrontement. Pour Nicolas Sarkozy, visiblement, la fin justifie toujours les moyens. Pour moi, je crois que les moyens utilisés, quand ils sont bas, contaminent le but qu’on prétend atteindre. Pour lui, le pouvoir est une domination, et la conquête des électeurs se paie par l’hystérie… C’est exactement le contraire de ce que je pense et d’ailleurs aussi le contraire de la ligne qu’il affichait dans les discours qu’on lui faisait lire en 2007 : « je demande à mes amis de me laisser libre, libre d’aller vers les autres, vers celui qui n’a jamais été mon ami, qui n’a jamais appartenu à notre camp, à notre famille politique et qui parfois nous a combattus. Parce que lorsqu’il s’agit de la France, il n’y a plus de camp ! » Voilà ce qu’il piétine !
L’excitation du sectarisme et de l’intolérance, c’est aussi un affrontement sur la conception même du pouvoir présidentiel. Pour moi, un chef d’État est un chef de famille. Les chefs de famille, au masculin comme au féminin, ont souvent à prendre des décisions rudes, sans se laisser détourner de leur devoir, des décisions franches, sans se laisser impressionner par des résistances infondées. 
Mais il est une chose qu'en chef de famille on n’a pas le droit de faire, c’est d’asseoir son pouvoir sur la division de la famille, de la susciter et de l’entretenir, de monter le frère contre le frère, les proches les uns contre les autres. 
La ligne stratégique de Nicolas Sarkozy a constamment été, pour gagner des voix, pour mobiliser des foules d’électeurs autour de lui, de faire flamber la division dans son pays. Au service de ce choix, il a fait feu de tout bois : les partis, la gauche, la droite, la nationalité, l’origine, la religion, le vêtement, la nourriture, l’Islam toujours. 
Faire de la division du pays le principe de l’action présidentielle, c’est manquer à la mission première qui est d’assurer la concorde civile, de rassembler les forces et de les ordonner pour faire face aux tempêtes. L’écriture le dit depuis la nuit des temps : « toute demeure divisée contre elle-même périra ». 
C’est pourquoi, pour moi, un président qui n’est pas un rassembleur n’est pas un président.
Et cela a une traduction simplement politique. Ce qu’affirme Nicolas Sarkozy à longueur de meetings, c’est que le pouvoir qu’il ambitionne, il veut le construire contre, contre le centre indépendant, contre la gauche quelle qu’elle soit, contre ceux qui n’auraient pas voté pour lui à telle ou telle échéance, et que ce pouvoir doit s’exercer, tout le temps qu’il durera, contre ceux qu’il doit réduire et en fait soumettre.
C’est le contraire de ce que je pense. Encore davantage dans les temps que nous vivons. J’affirme qu’une telle conception du pouvoir serait demain vouée à l’échec. Nous vivons une des crises les plus graves et les plus décourageantes que notre pays ait connues depuis longtemps. Six millions de Français l’éprouvent dans le chômage, tout le monde s’interroge sur les régimes sociaux, la menace terroriste est partout présente, l’éducation nationale est déstabilisée. Qui peut prétendre que ce soit par le sectarisme, appuyé sur un parti politique agressif à l’égard de tout ce qui n’est pas strictement aligné sur ses ukases, donc par définition minoritaire, qu’un exécutif, quel qu’il soit, redressera le pays ?
Face à Nicolas Sarkozy j’affirme que cette ligne politique est nuisible à la France, et qu’il convient de choisir la ligne exactement inverse : trancher, oui, avancer, oui, décider oui. Mais prendre au sérieux et respecter même les autres, les grands courants du pays, même ceux avec qui on est en désaccord, même ceux que l’on a combattus ou qu’on combat, rassembler tous ceux qui acceptent de participer à la reconstruction, affirmer leur légitimité, convaincre chaque fois que nécessaire, plutôt que contraindre.
J’affirme même, à l’encontre de Nicolas Sarkozy, et je défendrai cette ligne, que tous ces grands courants du pluralisme français, très à droite, très à gauche ou très au centre, doivent être représentés dans nos institutions, même ceux avec lesquels je suis le plus en désaccord et en affrontement. D’abord parce qu’ils représentent bien plus de citoyens que ceux qui nous gouvernent depuis des décennies, mais surtout parce que c’est leur droit imprescriptible de citoyens de défendre des idées différentes. C’est leur droit de citoyens d’avoir leur mot à dire lorsque les décisions se prennent, même s’ils ont des nuances, ou des divergences. Rien ne justifie que la règle majoritaire empêche la représentation des minorités. La démocratie aide souvent à prendre de meilleures décisions que le pouvoir dérisoirement autoritaire.
Enfin il y a, si possible, encore plus grave à mes yeux : il y a un contresens sur l’idée même de peuple. Nicolas Sarkozy évoque dans cette campagne, jour après jour, un peuple frustré, dont il prétend s’appuyer pour justifier sa violence sur la prétendue réalité de la vie et dont il exprimerait tout haut ce que ce peuple penserait tout bas ; en réalité, il y a dans cette vision un profond mépris du peuple. Il y a une idée péjorative, une condescendance, une mésestime consciente ou inconsciente, pour le peuple considéré comme une troupe qu’il convient de mener par les plus bas des sentiments, ceux du rejet et de l’insulte, du fanatisme et de l’aboiement contre les boucs émissaires.
J’affirme au contraire que ce peuple que Sarkozy n’a jamais approché, au milieu duquel il n’a jamais vécu, avec lequel il n’a jamais passé ni une semaine, ni un jour sans caméras, ni en une ferme, ni en un quartier ouvrier, ni en une famille d’enseignants, ni chez des artisans, le peuple chez nous, qui y sommes nés, qui y avons grandi et travaillé, le peuple n’est pas ce qu’il veut en faire. Le peuple, contrairement à ce qu’il croit, n’est pas une masse qu’il convient de fouetter de passions et de prendre par le bas, par les instincts, par les mots qu’on jette avec un rictus, par l’excitation contre les boucs émissaires que l’on livre l’un après l’autre en pâture. C’est le contraire.
En face de lui, j’affirme ceci qui est l’essentiel, pour un président de la République comme pour un citoyen : le peuple a besoin d’être estimé et d’estimer, le peuple, le vrai et le seul, mérite qu’on lui parle à la hauteur de son histoire et de la dignité de ses enfants.
Et contrairement à ce que croit Nicolas Sarkozy, tout cela est parfaitement compris, parfaitement ressenti. Et je crois qu’il se trompe sur le fond. Je crois que Nicolas Sarkozy, abusé par sa propre angoisse et sa propre fuite en avant, passe à côté de l’essentiel. Je crois que ce qu’il agresse et qu’il stigmatise dans le soutien que j’ai décidé d’apporter à Alain Juppé, c’est précisément ce qu’un grand nombre de Français cherche et attend : des politiques qui soient animés d’esprit civique, qui soient capables de s’unir et de se rassembler quand l’essentiel est en jeu. Et par là-même, ces millions de Français comprennent que cette entente est une promesse : une fois l’élection acquise, ils auront une garantie, le nouveau Président de la République les entendra et on les respectera. Ce n’est pas la brutalité qu’ils veulent, ce n’est pas la violence, c’est la volonté et la compréhension des difficultés et des attentes de chacun.

Les Français ont tout saisi sans avoir besoin d’explications complémentaires. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas assez violent, assez clivant, assez injurieux que Sarkozy décroche, c’est précisément parce que tout le monde voit toute la faiblesse que révèle un tel comportement. Et c’est pour cette raison que les Français, de droite, du centre et d’ailleurs, malgré la logique partisane de la primaire, s’apprêtent à lui dire non. Une deuxième fois.