samedi 4 février 2017

Journée ordinaire d'un "Mahgour", ou la culture du mépris en Algérie !

LA HOGRA (le mépris) : Un concept très connu en Algérie. Frustration sur laquelle surfent le gouvernement mais aussi les Frères musulmans (FIS) ... et qui est en train de gagner la Tunisie depuis que les Frères Musulmans nahdhaouis sont aux manettes !
Un texte réaliste décrivant le phénoméne qui mine la société algérienne et qui est bien vu par notre amie Taous.
R.B
Afficher l'image d'origine
Il se lève à 11h avec difficulté, toujours du mauvais pied. C'est que notre jeune Mahgour (le méprisé) ne dort pas assez ; il passe ses nuits courbé sur son PC à polémiquer, critiquer, philosopher, refaire le monde et la société ; lynchant ses concitoyennes tout en échangeant avec des européennes de l'âge de sa mère des messages enflammés. 
Il attend que "Laajouza" (la vielle) laisse tout tomber pour lui servir son café. C'est que voyez-vous, ça ne fait pas "rejla" ("rajel", un mec) d'appeler maman la femme qui l'a porté. Elle est "la vieille, " devenue servante depuis qu'elle l'a enfanté.
Il avale son petit déjeuner tout en maudissant le goût du lait en sachet. Ah si son père avait été "qafez" (malin, dégourdi), il aurait volé; et c'est du Candia que notre Mahgour aurait bu et c'est une villa qu'il aurait habitée ... Mais bon, son vieux père un peu trop honnête, n'a rien fait pour lui assurer un avenir aisé. 
Déjà midi, il faut qu'il se presse, il dévale en trombe les escaliers ; il ne faut pas qu'il rate la sortie du lycée. Une jolie jeune fille pleine d'ambition l'a repoussé et notre Mahgour ne l'a pas supporté. Il continue à la harceler. "hagratni parce que zawali "(elle me méprise, parceque je suis pauvre), se répéte-t-il. 
Il ne lui vient pas à l'idée que si elle l'a repoussé ce n'est pas parce qu'il est issu d'une famille modeste mais parce qu'il n'est pas du même niveau intellectuel, pas de son âge, ou que simplement il lui déplait ... Non, les filles de son pays sont hagarate (dédaigneuses), matérialistes, toutes des putes, sauf sa mère, sa sœur et les "jilbabiyate" (celles portant la tenue traditionnelle) et qui sont de toute façon laides et "moustachate" (avec moustache). 
Notre jeune Mahgour est une lumière, il connaît toutes les fatwas (décrets religieux) concernant la femme par cœur. Manque de pot, il a arrêté ses études au collège, parce qu'il est toujours tombé sur de méchants professeurs ! Tous des hagarine (dédaigneux) ses enseignants, qui pourtant sont les mêmes que ceux de sa sœur qui poursuit brillamment des études universitaires ...
14h une petite faim se faisant ressentir, rien de mieux qu'un sandwich de chawarma chez le Syrien du coin. Il regarde la foule agglutinée devant le petit restaurant tout en pensant à l'argent fou qu'il devait se faire en une journée. "Jaw kerrayine, welaw cherrayine " (de locataires, ils deviennt propriétaires) qu'il marmonne, maudissant son pays d'avoir permis aux réfugiés de travailler. "Khobz eddar, yaklo el berrani !" (ils viennent manger notre pain) lance-t-il indigné, "eli yji yekhdem aandna, ghir hna ! " (ils trouvent du travail chez nous, sauf nous). Il ne pense pas que si ces orientaux se font de l'argent, c'est parce que simplement ils bossent durement et ont l'esprit commerçant avec l'art et le talent de travailler . 
Il déambule dans les rues son sandwich à la main, en jetant un regard de dédain aux "Africains". Ah ces "Nwagra" (ces noirs) qui ont ramené avec eux toute sorte de maladies en plus de voler notre pain !! Welah (par dieu) qu'il a entendu l'information sur Ennahar Tv de la bouche d'un "médecin" !!
L'Afrique, il ne la reconnaît que quand son pays y joue au ballon; et encore, il faudrait que ces Africains reconnaissent notre suprématie de blancs ! Mais même en football, nous sommes victimes d'arbitrage ennemi ! "hagrouna saddiqi " (crois moi, ils nous méprisent !) !
Notre Mahgour n'a encore jamais travaillé. Il attend de décrocher un poste de cadre supérieur bien rénuméré. Il ne va tout de même pas se briser le dos comme un malien sur un chantier !!
C'est que voyez-vous, il est atteint de deux maladies mystérieuses qui font un ravage sur sa génération et qui n'ont trouvé remède ni dans les hôpitaux ni même chez le grand raqqi (exorciste) de la nation : 
- "Eddisque" : Hernie discale à la mode, invisible à l'examen, empêchant le sujet atteint de fournir de gros efforts ou de porter du poids mais ne l'empêchant pas de faire du bodybuilding) et 
- "Eddiqa" : Détresse respiratoire, très en vogue ne se déclenchant qu'en cas d'effort ou en présence de poussière, d'humidité, de sable, de ciment ou de terre mais ne se déclenchant jamais en fumant des cigarettes, de la zetla (du canabis) ou même de la moquette (reste de canabis traînant sur la moquette). 
17h, notre jeune Mahgour sirote son café dans un gobelet jetable. Béni en soit l'inventeur qui lui permet à présent de jouir de ce breuvage sans être confiné dans un espace réduit et de ne rien rater des scènes de la rue. En compagnie d'autres Mahgourine (pluriel de mahgour) comme lui, il passe au scanner toutes les femmes et toutes les filles : celle-ci trop grosse, celle-là trop maquillée, celle-ci trop moche, et l'autre sans foulard trop nue !! 
Ah ces femmes qui ont tout pris, les boulots, les logements, les voitures et envahissent les rues ! Qu'elles restent chez elles et tous les problèmes du Mahgour Algérien seront résolus ! Plus de chômage, plus de crise économique ! Ces postes qu'elles occupent "injustement ", de la petite secrétaire, à l’enseignante, à la femme médecin, à la juge du conseil d'Etat ... sont de la pure hogra (signe de mépris envers les Mahgourine, puisque ces postes leur reviennent de droit) !  Et puis d'ailleurs, "hram tahkom mra ! " (c'est péché qu'une femme commande !), c'est ce que lui a dit cheikhna  (notre cheikh ou imam) !!
Les gobelets vides et les mégots jetés à même le trottoir sous le regard médusé du vieil éboueur du quartier qui venait à peine de balayer, notre Mahgour rentre chez ses parents en donnant au passage un coup de pied à un chat noir qui miaulait, "wejh ecchar, ahmed rebbi maranich chenwi (remercie dieu que je ne sois pas chinois) ... sinon je t'aurais mangé ! " .
20h, il regarde les informations sur les chaînes de caniveaux en attendant que la sœur rentrée épuisée de la faculté, laisse tomber ses livres et ses cahiers pour servir le dîner à son frère qui lui fait une faveur en la laissant étudier. Refuser de le servir serait une atteinte à sa dignité et à sa virilité. Il ne faudrait quand même pas qu'il se sente méprisé à la maison aussi ! 
22h notre Mahgour reprend position sur son PC. Il doit absolument trouver une Européenne à charmer, il n'en peut plus de ce pays de Hogra. Il ne rêve que de "harga"  (prendre la mer clandestinement pour entrer en Europe); car il mérite de vivre dans un pays de justice et de respect de l'humain et des lois; et non une "Dawla haggara" (un Etat qui méprise son peuple)... 
Et puis il aura ses papiers là-bas. Et puis il épousera une Maria Sharapova et non une "moustacha". Et puis à l'Islam, il la convertira. Et puis quand il reviendra au pays avec sa blonde voilée et son Ibiza, il ne sera plus Mahgour mais un Roi ... et puis voilà.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire