mercredi 9 août 2017

LA QUESTION DU VOTE

Article paru dans : Kapitalis


En Tunisie et en vue des élections qui se profilent, municipales, législatives et présidentielles, la question du vote ou de l’abstention va devenir cruciale. Il se lève, en effet, sur le pays et on s’en rend compte sur les réseaux sociaux, un vent de fronde contre les politiques, une désillusion de plus en plus grande face à leur incompétence et à leur absence totale de conviction.

Si certains comme l'actrice Leila Toubel en appellent au devoir citoyen de voter :
« Je me suis réappropriée ma citoyenneté et je ne vais pas l’abandonner de sitôt. J’irai voter parce que ma voix ne peut pas s’éclipser, n’a pas le droit de se taire, de se résigner devant une montagne de laideur, n’a pas le droit de se laisser emporter par toutes les tempêtes abjectes. J’irai voter comme une personne atteinte d’un cancer et qui, malgré le stade très avancée de la maladie, ira faire une séance de chimiothérapie qui peut être la dernière, mais elle y croit quand même. »

D'autres n’hésitent plus à appeler à ne plus voter. Ainsi, Olfa Youssef a appelé à ne pas voter et certains lui ont répondu sur les réseaux sociaux comme le montre ce petit texte paru sur Facebook :
« Mme Olfa Youssef, voter est un devoir ! Vous étiez toujours une combattante redoutable contre l’absurde et le médiocre. Vous avez à maintes reprises pris la bonne décision au bon endroit. Hélas, votre dernière décision n’est point conforme à votre statut d’intellectuelle suivie et écoutée par plusieurs milliers de personnes. Indirectement, vous appelez à sécher les isoloirs et à boycotter les urnes. Indirectement, vous voulez consacrer la victoire des extrémistes par manque de vote progressiste. Madame, si aucune personne ne vous plait et si vous estimez qu’aucun homme ou femme politique ne peut véhiculer vos idées, présentez-vous et développez un programme de gouvernance et présentez-le au public.
Voter est un devoir plus qu’un droit. La Tunisie ne peut se permettre l’abandon de ses enfants censés représenter la locomotive du progrès. Chaque voix compte pour lutter contre l’intégrisme et le sous-développement.
La déception n’est pas de bon conseil et je suis sûre que vous allez vous mettre en ordre de bataille pour faire front contre la médiocrité ! Sinon quel dommage ! HBS »

La position qu’a soutenue Olfa Youssef était prévisible. C’est un risque que beaucoup avait mis en évidence lorsqu’après son élection Béji Caïd Essebsi, soutenu par Nidaa Tounes, s’est rapproché des islamistes et, au terme de ce qui a été appelé le « consensus », a gouverné avec eux.

Dans un article un article paru le 17.1.2016, je soulignais que cette alliance de Nidaa avec les Frères musulmans allait avoir des effets dévastateurs car par cette trahison du vote clair, elle allait décourager les électeurs qui avaient vraiment cru, en votant pour Béji Caïd Essebsi, se débarrasser des islamistes.
Par ailleurs, cette alliance allait avoir pour résultat une absence de réelle politique faute d’une ligne claire et en raison des compromis boiteux que le pouvoir est contraint de faire sans arrêt.
Il était clair aussi que cette union des deux forces, allait créer une sorte de dictature soft en supprimant de fait toute possibilité d’alternance qui est le seul critère d’une véritable démocratie.

Les explications fournies à l’époque par Nidaa, à savoir le refus de certains partis progressistes de s’unir à lui, n’étaient pas convaincantes car si, en effet, on peut regretter amèrement l’irresponsabilité de certains partis, cela ne justifiait en rien une alliance contre nature entre des politiques totalement opposées sur le plan sociétal. Nidaa devait dans ce cas renoncer et appeler à de nouvelles élections pour clarifier la situation.

Quoiqu’il en soit, de très nombreux tunisiens qui avaient fait confiance à Nidaa ne revoteront pas pour ce parti. Cela leur sera moralement et politiquement impossible, sans parler du triste spectacle qu’a donné ce parti avec ses divisions et ses querelles de bas étage. 
Alors ! Devra-t-on dans ces conditions, comme le suggère Olfa Youssef ne pas voter ?

Il est trop tôt en tout état de cause pour prendre une décision car l’offre politique n’est pas encore connue et on doit continuer à espérer la naissance d’une offre nouvelle qui soit réellement une offre politique correspondant aux souhaits de la majorité des tunisiens.
Je ne crois pas me tromper en disant que cette offre qui doit regarder l’avenir et pas le présent uniquement, doit tourner autour de ces principes qui ont été souvent rappelés, mais hélas en vain :
- Prohibition d’une quelconque alliance avec les islamistes, avec comme but institutionnel l’interdiction des partis fondés sur la religion et l'instauration de la laïcité .
- Ancrage dans une économie libérale avec un volet clairement social, notamment par la mise en priorité de l’éducation nationale et le développement des régions longtemps abandonnées.
- Accent mis sur la lutte contre la corruption et le développement de l’état de droit, seule politique capable de faire venir (ce qui est souhaitable) des investisseurs.
- Développement d’un tourisme de qualité avec une diminution progressive dans certains lieux du tourisme de masse.
- Objectif de réformer, à terme, la Constitution pour modifier le système électoral lequel doit permettre l’émergence d’une majorité stable.

Pour l’instant, aucun parti ne propose clairement ces buts essentiels ; et si le parti de Mohsen Marzouk n’est pas loin dans ses objectifs de ces buts, on ne peut que se rappeler que son dirigeant a été très proche du Qatar et que dès lors son discours n’est pas crédible.

Si, lorsque les échéances arriveront, il n’existe aucune offre convenable, que pourra-t-on faire ? Voter pour les moins pires ?
C’est une option, mais qui ne ferait que maintenir la classe politique actuelle dans son indécision, son absence de véritable projet et ses petites combinaisons. 

Quand on soutient de manière abstraite que voter est un devoir, on joue le jeu des politiciens qui, quoiqu’ils fassent, pensent que les électeurs voteront quand même pour eux, pour éviter le pire. Eh bien, c’est cette certitude qu’il faut combattre et en l’occurrence, beaucoup de tunisiens, quel que soit l’offre politique et quelque soient les risques, ne revoteront pas pour Nidaa, car le faire, ce serait avaliser sa trahison.

S’abstenir ? C’est évidemment ouvrir la porte aux islamistes qui, eux, sont organisés et disciplinés. C’est très dur à envisager, mais ne serait-ce pas aussi le moyen de créer dans le pays un électrochoc ?

Les partis actuels étant discrédités, certains suggèrent, notamment aux municipales, de constituer des listes citoyennes. L'idée est séduisante et pourrait, en effet, constituer une excellente solution mais elle est tardive et nécessite que des leaders décidés, compétents et actifs s'en occupent entourés d'équipes motivées. 
Je ne crois pas, hélas, à la faisabilité dans un délai prochain.

Il faut réfléchir à toutes ces options et attendre la réelle offre politique. Il sera temps, alors, de refaire le point.

Rachid Barnat










1 commentaire:

  1. ET SI ON LAISSAIT LES ISLAMISTES GOUVERNER SEULS, POUR MIEUX S'EN DÉBARRASSER UNE FOIS POUR TOUTE ?

    Chadlia Kechaou-bouaziz :

    En réponse à l'article ci-dessous de Rachid Barnat et à tous les questionnements qui nous rongent sur la situation politique, économique, sociale actuelles de notre pays et son devenir : Pourquoi ne pas choisir la politique du pire !

    1 - Dénoncer systématiquement la trahison de Nidaa.
    2 - Laisser Ennahdha prendre le pouvoir, plutôt que le laisser prospérer derrière Nidaa.
    3 - En gouvernant, Ennahdha ne manquera pas de se planter, l'expérience est là : depuis la troïka nous voyons comment Ennahdha a mis le pays au bord du chaos.
    4 - Dans la lutte contre Ennahdha au pouvoir, émergera l'alternative effective, car plus aucun parti sérieux ne voudra s'allier aux islamistes.
    5 - Béji Caïd Essebsi a choisi l'alliance plutôt que la confrontation, pour éviter la guerre civile.
    Ce qui arrange Ennahdha qui fuit les débats politiques, de peur d'être démasqué.
    6 - Or il ne faut pas avoir peur de la guerre civile, arme de dissuasion des islamistes.
    7 - Il faut débattre avec Ennahdha et l'obliger à débattre d'autant qu'il joue la carte de la démocratie, et prend à témoin l'UE & les EU !
    Il sera mis au pied du mur.
    8 - C'est un risque à prendre, car au stade où se trouve le pays et ses hommes politiques manquant de stratégie et d'audace, les tunisiens n'ont guère d'autre choix !

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