mercredi 14 février 2018

Lella Manoubia, la sainte soufie de Tunis

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Lella Manoubia, Berbère et Sainte Patronne de Tunis, depuis 8 siècles


Lella Mannoubia, une féministe avant l'heure ? Ce qui est sûr c'est qu'elle a refusé le diktat des hommes et s'est rebellée contre l’autoritarisme des hommes et des beys; et en femme libre et indépendante elle a trouvé sa voie dans le soufisme pour s'émanciper des hommes. C'est pourquoi les salafistes, ces enfants-miliciens du Frère musulman Ghannouchi, s'en sont pris à son mausolée, pensant l'effacer de la mémoire collective des tunisiens.
R.B

Lella Manoubia ou Saïda Manoubia, de son vrai nom Aïcha Manoubia, née vers 1180 à La Manouba et décédée en 1257, est une sainte tunisienne. Depuis presque 8 siècles, elle est la sainte patronne de Tunis.
Sa renommée est telle qu'elle lui vaut un récit hagiographique intitulé Manâqib (Vies, vertus et prodiges de la sainte) et rédigé par l'imam de la mosquée de La Manouba. Consécration très rare pour une femme, il révèle des éléments doctrinaux importants où la sainte revendique ouvertement le statut de « pôle des pôles » — la plus haute dignité dans la hiérarchie soufie — et le statut du vicaire de Dieu sur terre. De plus, il montre une femme imprégnée du savoir scientifico-théologique et très instruite sur le Coran.
Elle étudie les hadiths et les sciences de la jurisprudence islamique après avoir reçu sa formation d’Abou Hassan al-Chadhili, un maître soufi berbère marocain, dont elle est l'élève. Ce dernier la nomme même à la tête de son ordre, la Chadhiliyya, lui conférant le statut de pôle de la confrérie, dirigeant de ce fait des imams. Elle va jusqu’à prier à la mosquée Zitouna de Tunis en compagnie des hommes, ce qui constitue un « fait révolutionnaire dans l’histoire du monde musulman ».

Jeunesse et rupture

Issue d'une famille du faubourg de La Manouba, Lella Manoubia vit une enfance paisible dans cette fin du XII éme siècle et ce début du XIII ée siècle. Son père, qui veille à l'instruire, la confie à l'enseignement coranique. Très vite, elle fait montre d'élans mystiques et désire mieux pénétrer les mystères de l'islam. À l'âge de 9 ans, elle est très différente des autres enfants : c'est une enfant prodige mais on la considère comme anormale et plus tard on la traitera de folle. À 12 ans, elle éprouve le besoin de s'isoler dans les vergers aux environs du village, peut-être pour méditer ou pour prier. Elle se lie alors avec un personnage qui subjugue ses contemporains, Abou Hassan al-Chadhili, avec qui elle est surprise un jour en pleine discussion. La réaction du père et de la société de l'époque ne se fait pas attendre : elle doit mettre un terme à ces « promenades douteuses » et son père doit lui trouver un mari comme le veut la tradition.
La décision du père est d'autant plus urgente que les commérages frôlent le scandale et que la beauté de la jeune fille suscite beaucoup de convoitises. On vient demander sa main mais Lella Manoubia oppose une fin de non-recevoir. Ces épousailles forcées la mettent sur la voie de l'errance, la cohabitation avec la famille étant devenue impossible. Elle part pour Tunis puis vers de multiples retraites qui la conduisent loin de la capitale. Elle partage sa vie entre la quête de la science, l'action et la méditation.

Méditation et dévotion

Lella Manoubia s'installe alors au cœur de Tunis, non pas dans la médina mais en dehors de l'enceinte, dans le faubourg populaire d'El Morkadh. Elle se garde de compter sur le soutien de ses fidèles et préfère travailler, rompant ainsi avec l'image de la femme entretenue. Pieuse, elle traverse Tunis « pauvrement vêtue et le visage découvert, n'hésitant pas à converser publiquement avec les hommes ». Elle travaille pour gagner sa vie et pratique l'aumône, partageant ses maigres ressources avec les femmes en détresse, se plaçant ainsi du côté des faibles, des marginaux et des opprimés qu'elle soutient et réconforte par sa charité et sa spiritualité.
Ses actions la rendent célèbre et d'une qualité morale incontestable; mais en font aussi l'incarnation d'un certain contre-pouvoir : elle prolonge dans son parcours la révolte contre le symbole de l'autorité aliénante. Son antagonisme vis-à-vis des pouvoirs publics se mue en un affrontement de plus en plus violent entre une religion officielle régie par un malékisme hégémonique et une forme populaire de religiosité contestataire et maraboutique.

Femme à la personnalité forte et très instruite, elle demeure célibataire et partage son savoir et son instruction religieuse avec les hommes, même si cela ne plaît pas aux réformateurs musulmans. Ceux-ci ont d'ailleurs cherché de tous temps à canaliser le mysticisme féminin qu'ils finissent par considérer comme une déviance tellement il déborde, à leurs yeux, des cadres habituels de l'expression de la piété. Lella Manoubia est crainte par ses homologues masculins par peur du désordre qu'éveille sa conduite ou sa beauté. Ses détracteurs n'hésitent pas à l'accuser de tous les maux dont la débauche et le libertinage : ses accusateurs rapportent qu'elle se retire sur les hauteurs du Jebel Zaghouan, parfois en compagnie de son fidèle préféré, pour y méditer sur la passion de Dieu et « savourer les plaisirs de l'amour ».
Crainte ou aimée, elle est malgré tout sollicitée aussi bien par des hommes que par des femmes en difficulté pour sa capacité à entrer en contact avec le monde invisible peuplé d'esprits, de saints et de prophètes qui sont perçus comme des intermédiaires entre les hommes et Dieu. Certains oulémas prennent même l'habitude de se déplacer à son domicile le jour de l'Aïd el Kebir pour lui présenter leurs vœux. Lorsqu'elle meurt en 1257, toute la ville de Tunis suit son cortège funèbre jusqu'au cimetière El Gorjani où son mausolée a été sauvegardé dans la verdure.

Mausolées

Après sa mort, elle est inhumée sur l'une des collines de Tunis où elle a l'habitude de se retirer pour prier. Deux zaouïas lui sont dédiées, l'une autour de sa maison natale à La Manouba et l'autre à Tunis, dans le quartier de la Sayida sur les hauteurs de Montfleury ; cette dernière est restaurée en 1993.
Au XIX éme et au début du XX éme siécle, les beys lui rendent visite dans sa zaouïa de Tunis lors de parcours rituels effectués à l'occasion de l'Aïd el Kébir. Jusqu'au début du xxe siècle, Lella Manoubia est considérée comme la sainte de Tunis et bénéficie de la vénération des grandes familles de la ville. Jusqu'à la fin des années 1950, les sanctuaires de la sainte sont en effet fréquentés principalement par des familles de beldis (citadins). Même chez les grandes familles bourgeoises qui ont quitté le centre pour investir de nouveaux quartiers, délaissant ainsi les sanctuaires, l'attachement à Lella Manoubia et à ces rituels demeure tout comme la nostalgie de ce mode de religiosité, de l'ambiance et des émotions qu'il implique. Par la suite, d'autres endroits, en particulier au Jebel Zaghouan, font l'objet de pèlerinages. Sa sépulture est visitée, les lundis et vendredis, par les femmes de toutes classes et de toutes origines afin d'obtenir l'exaucement de leurs vœux ou obtenir la guérison de malades ; les adeptes viennent aussi le dimanche participer à la cérémonie de transe animée par des officiantes femmes.
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Le tombeau, ainsi que tout ce que contient le mausolée de La Manouba comme meubles, sont ravagés par un incendie criminel à l'aube du 16 octobre 2012, par des salafistes, ces enfants du Frère musulman Ghannouchi.

Héritage

Elle est patronne de Tunis, depuis 8 siècles !
Lella Manoubia incarne non seulement l’aspect spirituel et moral mais aussi la condition de la femme tunisienne au XIIIe siècle et les préoccupations et désirs de l’homme. Elle est une incarnation étonnante dans le contexte de la société de la fin du XIIe siècle : révolte contre l’autorité du père, rejet de l’institution du mariage et adoption de l’état de célibat accompagné d’un militantisme omniprésent.
Cela a été perçu comme suffisant pour susciter une aura partagée de peur et de vénération. Par ailleurs, les histoires populaires et pratiques rituelles des saints et des saintes de Tunis soulignent que le rapport à l’espace est déterminé selon le sexe. Seule Lella Manoubia fait exception à la règle : la femme sainte ne prend pas part au voyage initiatique. Néanmoins, elle quitte le domicile paternel pour prêcher à Tunis, reçoit et partage son instruction religieuse avec les hommes (contrairement aux autres saintes).

Les arabes, qu’ils soient daechiens ou Frères musulmans, ont compris que la vie et les actions de Lella Menoubia, cette berbère révolutionnaire, continue à influencer la mentalité des femmes tunisiennes; et que son soufisme est antinomique avec le wahhabisme qui fonde leurs actions politiques. C’est pourquoi ils ont tenté à plusieurs reprises de détruire son mausolée et son enseignement révolutionnaire pour son époque, qui reste d’actualité aujourd’hui.

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