dimanche 2 juin 2013

Comment le Qatar achète le silence de l'Occident ... et sa conscience !

Nicolas Beau - Jacques-Marie Bourget Nicolas Beau - Jacques-Marie Bourget

Le Qatar est loin d'être un régime exemplaire : pourquoi devrions-nous le taire ?

LE PLUS. "Un déluge de critiques sur le Qatar, auquel aucun mérite, ni circonstance atténuante n’est accordé". C'est en ces termes que Pascal Boniface, directeur de l'Iris, a qualifié l'enquête de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, dans une tribune publiée sur Le Plus. Les deux journalistes persistent et signent : l'Émirat n'est pas un régime démocratique, la critique est donc légitime et nécessaire.

Hamad bin Khalifa Al Thani lors du Global Forum de Vienne, le 27 février 2013 (K. SCHOENDORFER/SIPA).
À défaut de les imaginer heureux, espérons-les bronzés les pèlerins de Doha. Ils étaient 80 français à avoir fait le voyage au Qatar pour assister, du 20 au 22 mai, au 13e forum organisé dans la capitale.

Du tourisme plus qu'un forum

Chaque année, cette supposée agora, où se croiserait toute la plus belle pensée du monde, fournit plus benoîtement un alibi à la présence d’un groupe d’affidés. Qui, en fait de "forum", choisissent surtout entre un bain dans la piscine ou un plongeon dans la mer.

Chantal Guittet, la députée PS du Finistère qui, d’un forum l’autre, est passée en quelques heures de celui de Ploudaniel à celui de Doha, a craché le morceau :

"Je pensais qu’au Qatar on allait nous demander de participer à des tables rondes. En fait, on a fait du tourisme (…), on pouvait même venir avec nos conjoints."

D’autres invités de Doha (billet d’avion et séjour payés par l’Émirat), ont une appréciation bien plus courtoise pour la puissance invitante. C’est le cas d’Hubert Védrine, ancien ministre, avocat et membre du conseil d’administration de LVMH :

"Ce sommet est assez représentatif du fait que les évènements intellectuels et politiques ne se tiennent pas uniquement dans le monde occidental."

Et le politologue Pascal Boniface de renchérir : "Ici les discussions sont très riches et réunissent des gens de très haut niveau". Vous aurez noté le "très riche". Signalons la présence au sein de ce fécond forum, de l’expert Enrico Macias, qui a sûrement éclairé plus encore ce "sommet" de Doha.

Un lobbying grossier

Dans cette affaire, c’est Chantal Guittet, avec sa franchise, qui a raison : depuis 13 ans, le Qatar invite des "personnalités", si possible politiques, afin d’échanger avec elles un séjour à la mer contre leur bonne grâce. Contre un regard "positif" sur ce pays qui ne respecte aucun critère démocratique. Et la naïve députée, ignorant que le conseil déontologique de l’Assemblée nationale avait déconseillé ce type transport familial et que Jean-Marc Ayrault a un jour déclaré "moi, le Qatar, avant d’y aller je réfléchirais…", précise "qu’on pouvait se faire accompagner de son conjoint".

Inviter, contre un peu de soleil, des élus et des écrivains, des journalistes, à fermer les yeux sur la réalité du pays n’est pas une manipulation bien neuve. Hassan II, avec l’attrait de la Mamounia, le palace de Marrakech où il traitait le gotha français, a inventé il y a longtemps cet échange du silence contre le farniente.

En évoquant ces intellectuels et puissants, fascinés par quelques jours passés sous le soleil de Satan, l’opposant au roi Abdelmoumen Diouri décrivait alors la petite troupe des invités : "Assis en rang, apparemment aussi présentables et bien élevés que des mères de princes, un rien crispés, visiblement honorés…"

Le Forum de Doha, c’est la Mamounia, avec un argument "intellectuel" capable de sauver l’honneur du voyageur : ce n’est pas un invité stipendié mais un penseur utile, un "forumiste". Que sont donc allés faire à Doha Michelle Alliot-Marie, Patrick Balkany, Eric Woerth, Patrick Ollier, Pierre Lellouche, Alain Marsaud, Maurice Leroy, Vincent Placé, Malek Boutih, Hubert Védrine et la malheureuse Chantal Guittet, si ce n’est répondre aux appels d’un lobbying grossier.

Étonnez-vous alors qu’en 2008, au moment de voter en faveur du Qatar l’exemption de l’impôt sur les plus-values immobilières réalisées en France, il ne se soit pas trouvé un élu pour dire non à ce cadeau scandaleux qui met le bronzage hors de prix.

De fortes carences démocratiques

Plus simplement. Imagine-t-on la même précipitation pour se rendre à un "forum" à Minsk, la capitale de Biélorussie ? Impossible. Nos élus, forcément défenseurs des droits de l’homme, avanceraient l’impossibilité de serrer la main du dictateur Loukachenko.

Mais les pèlerins de Doha savent-ils qu’au classement des démocraties dans le monde, établi par "The Economist", le Qatar se traîne à la 136e place, battu par l’infréquentable Biélorussie elle-même ? La différence entre Loukachenko et l’émir Al-Thani est que le second est riche comme un puits sans fond. Jules Renard disait "si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le", visiblement autour de l’émir on ne compte aucun mécontent.

Et pourtant, il y a à dire et écrire sur les réalités du Qatar, c’est ce que nous avons tenté de faire avec notre livre, "Le Vilain petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal". À l’heure où les droits de l’homme ont enfin acquis un statut universel, au moment où la France semble se réveiller contre la corruption et l’évasion fiscale, il se trouve des élus assez débonnaires pour aller conforter le régime dictatorial de Doha.

Le Qatar est un pays où le droit d’association est interdit, où les partis politiques et syndicats le sont tout autant. Où le droit n’est qu’une notion molle qui doit coller à l’humeur des princes, avec, à la clé, lettre de cachet, peine de mort et châtiments corporels. Le million d’ouvriers étrangers qui travaille dans cet émirat est, les syndicats internationaux et les ONG le soulignent, "soumis à une forme d’esclavage moderne". Privés de passeport, ces "esclaves" vivent en camps sous l’autorité de la police et des leurs "parrains".

Ne parlons pas des droits d’une presse qui n’existe pas. Est-il venu à l’idée d’un seul pèlerin de Doha de prendre des nouvelles du poète Al-Ajami condamné à 15 ans de prison pour avoir osé réclamer que le "printemps arabe" touche aussi le Qatar ? Est-il venu à l’esprit d’un seul de ces invités d’interroger l’émir : "comment peut-on, dans votre Forum, discuter de 'Démocratie nouvelle ou restaurée', alors que cette vertu n’existe pas dans votre pays ?"

Un modèle, vraiment ?

Et puisque Doha, sur le plan fiscal, a quand même un côté paradisiaque, quel élu de gauche, échaudé par le tsunami Cahuzac, a eu l’idée simple de poser la question du secret bancaire au Qatar, et celle du blanchiment d’argent ? Interroger l’émir sur les secrets pesants qui l’ont lié, et le lient encore, à Nicolas Sarkozy ? La volonté, aussi, de comprendre pourquoi l’argent du gaz et celui de la famille régnante ne font plus qu’un au creux de sa poche ?

Pour la géopolitique, à l’honneur au 13e Forum de Doha, il faudra repasser. Tout au moins si l’on veut savoir pourquoi le Qatar a sponsorisé les Frères musulmans en Égypte et en Tunisie, amorcé le chaos en Libye, et joué les infirmiers auprès des jihadistes du Mujao qui tenaient alors Gao, au Mali.

Trop bien élevés, les invités n’ont pas davantage posé ces questions. Pas plus que celles qu’il conviendrait pourtant de formuler à propos des investissements du Qatar dans sa diffusion messianique du wahhabisme, c'est-à-dire la version la plus rétrograde et intégriste du Coran, en France. Et c’est bien dommage.

Heureusement, François Fillon, en homme de consensus a été, pour la délégation française, un porte-parole d’une grande vision et de vraie sagesse en déclarant :

"Vous avez développé, ici au Qatar, un modèle exemplaire."

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