mardi 9 juillet 2013

C'est le début de la fin de l'islam politique dans les pays du printemps arabe



historien, professeur à l'université de Tunis 
spécialiste des questions islamiques. 

Selon lui, ce qui se déroule en Égypte aura, à des degrès différents, des répercussions sur la Tunisie.

INTERVIEW -

LE FIGARO.  
La Tunisie peut-elle être influencée, voire contaminée, par ce qui se passe en Égypte?

Alaya ALLANI.  
En Tunisie, nous sommes entrés dans la deuxième phase de la révolution, que je qualifie de révolution corrective. L'Égypte est le premier pays à engager cette phase. Comme la Tunisie, d'où est parti le printemps arabe, a influencé l'Égypte, ce qui se déroule en Égypte aura des répercussions, à des degrés différents, sur la Tunisie. Au XIXe siècle, ces deux pays ont été les premiers dans le monde arabe à avoir adopté une Constitution. À cette même époque, dans ces deux pays, s'est affirmé un mouvement réformiste qui a touché l'islam et la politique. La Libye va être obligée de suivre et de se transformer graduellement. À terme, c'est toute l'Afrique du Nord qui est concernée par cette révolution en mouvement.

LE FIGARO.  
Est-ce à dire que les islamistes d'Ennahda vont prochainement perdre le pouvoir en Tunisie?

Alaya ALLANI. 
Ce qui se passe en Égypte annonce sans doute le début de la fin de l'islam politique dans les pays du printemps arabe. Le mouvement islamiste a démontré son incapacité à instaurer la sécurité ainsi qu'un développement économique et social. La sanction pour Ennahda viendra sans doute plus des urnes que de la rue. Mais des violences ne sont pas à exclure. Ennahda va être obligée de faire de nouvelles concessions, sans céder sur l'essentiel à ses yeux, la référence islamique. Les Frères musulmans confondent toujours la sécularité et la laïcité.

LE FIGARO.  
Les islamistes d'Ennahda sont-ils si proches des Frères musulmans égyptiens?

Alaya ALLANI. 
Rached Ghannouchi, le fondateur d'Ennahda, est le représentant tunisien à l'Internationale des Frères musulmans. Ennahda et tous les Frères musulmans ont les mêmes principes idéologiques. À l'origine, ces mouvements avaient le même mode organisationnel dans tous les pays du monde arabe. Les Frères musulmans croient à l'État islamique fondé sur la charia, mais chaque mouvement adopte son propre agenda, en fonction de la nature des différentes sociétés. Ennahda n'a pas renoncé à la charia, il a simplement reporté son instauration.

LE FIGARO.  
Ghannouchi fait valoir qu'Ennahda s'est alliée à des partis démocratiques «modernistes» et que cette stratégie permet d'éviter l'affrontement?

Alaya ALLANI. 
C'était plus une alliance de forme que de fond. Ennahda reste la pièce maîtresse dans la troïka. Tous les postes clés du premier gouvernement étaient confiés à des nahdaouis et 80 % des nominations dans la haute administration ont favorisé des islamistes. Dans le nouveau gouvernement, les ministères régaliens ont été cédés à des «indépendants», mais Ennahda a d'autres moyens de contrôle et s'est bien gardée de céder le ministère des Affaires religieuses.

LE FIGARO.  
Le poids et la nature de l'armée, en Égypte et Tunisie, sont toutefois une différence essentielle entre ces deux pays?

Alaya ALLANI. 
Assurément. L'armée n'est jamais intervenue dans les affaires intérieures tunisiennes depuis un demi-siècle, sauf deux fois, très ponctuellement, et à la demande du pouvoir politique. L'armée égyptienne n'est pas seulement une institution, c'est une force économique, qui peut prêter au gouvernement. Sa richesse est évaluée à 20 % du PIB. Ajoutons deux autres différences: la situation socio-économique est beaucoup plus détériorée en Égypte, même si la Tunisie a connu des mouvements de révolte dans les régions défavorisées qui avaient déclenché la révolution. La fragilité sécuritaire en Égypte est aussi beaucoup plus grande qu'en Tunisie.


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